Quel monde construisons-nous ? Lorsque George Orwell écrivit 1984, le montre était fractionné en deux blocs qui entraient en Guerre Froide. Orwell imagina donc une Angleterre uchronique et dystopique sous un régime totalitaire socialiste : l’Angsoc. Sous le regard de Big Brother, le personnage de Winston Smith essaie de donner un sens à son existence.
En 2021, ce célèbre roman d’anticipation est tombé dans le domaine public. Il ne faut donc pas s’étonner de voir de nombreuses adaptations fleurir depuis l’an dernier. Parmi elles, il y a la bande-dessinée de Xavier Coste qui m’a été offerte à mon anniversaire et que j’ai lue cette semaine.
Une bande-dessinée qui retranscrit l’atmosphère de 1984
Adapter une œuvre littéraire en bande-dessinée n’est pas chose aisée. Surtout quand le roman en question est complexe et comporte 417 pages dans la version poche. Pourtant, certains artistes ont su relever ce genre de défi. Par exemple Manu Larcenet, qui adapta avec un talent incroyable le Rapport de Brodeck en deux tomes (nous vous parlions du premier ici, et du second là). Le plus difficile : savoir quelle part de texte il faut conserver, et laquelle il faut sacrifier ; car la BD n’est pas l’art du roman et vice-versa.
Xavier Coste s’est attaché à retranscrire au plus près l’atmosphère qui se dégage de 1984. Dans ce roman si touffu, finalement que retient-on ? Que la société est totalement désincarnée… que les êtres sont formatés… que les personnes ne sont plus que les ombres d’elles-mêmes…
C’est précisément ce que l’on voit dans les pages de cette bande-dessinée. Des silhouettes presques identiques qui existent côte à côte sans être réellement ensemble. Le moindre regard est suspect et peut à tout moment devenir criminel.
Des couleurs dans la grisaille
Ce qui, selon moi, participe à la beauté de cet album, c’est le choix esthétique de restreindre les couleurs utilisées à quelques tons primaires. Du bleu, du rouge, du jaune. Du blanc et du noir. Tel est le monde dans lequel évolue Winston, un univers dans lequel la pensée, le langage, la vie sont réduits à l’essentiel. Et la peinture réduite à ses couleurs primaires.
Dans le scénario de cette adaptation, il a également su retenir les moments les plus significatifs. J’ai particulièrement aimé l’épisode au cours duquel Winston achète dans une boutique un presse-papier en corail. Pourquoi l’achète-t-il ? Parce qu’il est beau. Pire, parce qu’il est inutile.
Ce genre d’anecdote me fait évidemment penser à l’actualité, quand par exemple on censure la culture parce qu’un chef d’état a déclaré qu’elle n’était “pas essentielle“. Xavier Coste ne manque pas de faire des ponts entre ce 1984 de fiction et notre 2021 bien réel. J’ai particulièrement aimé la toute première image sur la page de titre : un formulaire d’autorisation de sortie.
Si vous n’avez jamais lu 1984 et que ce roman culte vous fait peur, n’hésitez pas à vous procurer son adaptation par Xavier Coste qui rend le récit et le propos très accessibles. Et si vous aimiez déjà le roman, plongez dans la bande-dessinée pour en retrouver toute la terreur saveur.
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.