En deux heures de spectacle, Laurent Pérez revisite L’Orestie d’Eschyle (l’une des plus vieilles tragédies connues) dans A nos Atrides ! au Sorano. Successivement, les trois épisodes de la trilogie d’Eschyle se succèdent dans une accélération fatale où le père sacrifie sa fille, l’épouses tue le mari, les enfants punissent leur mère.
J’ai adoré cette mise en scène, qui a la qualité de ne pas basculer dans le gore alors que ça serait si tentant avec une histoire aussi sanglante. D’autres metteurs en scène s’y sont essayés par le passé et n’ont pas résisté à cette dérive de la surenchère (en pense au Sang des Atrides de Jean-Michel Rabeux en 2005, l’Electre de Claude Bardouil en 2008, et plus récemment l’Orestie (une comédie oranique ?) du sulfureux Romeo Castellucci en 2016). Laurent Pérez nous propose au contraire une mise en scène sobre où le jeu des comédiens prend le pas sur les effets spectaculaires – même s’il est difficile d’échapper à quelques scènes d’hémoglobine quand on se frotte aux Atrides.
Ce sont les comédiennes qui dominent particulièrement dans cette distribution. Sylvie Maury incarne une Clytemnestre très ambivalente et sublime, la silhouette particulièrement graphique dans ses robes de reine, le visage transfiguré en masque de la tragédie après le meurtre d’Agamemnon (mais comment fait-elle ça ?). Dans la première partie de la pièce, Cassandre est également fascinante, submergée par ses visions d’avenir sanglantes que chacun s’obstine à ne pas croire. Mais le spectateur sait que quand Cassandre parle, c’est la fatalité qui se dévoile toute nue !
Plusieurs scènes dans ce spectacle m’ont particulièrement plu. D’abord, l’annonce de la fin de la guerre de Troie, annoncée grâce aux flambeaux : Sylvie Maury se fit quasi danseuse pour déclamer cette tirade magnifique, presque un chant :
Hèphaistos a fait jaillir, de l’Ida, une lumière éclatante. De torche en torche, et par la course du feu, il l’a envoyée jusqu’ici.
L’Ida regarde le Hermaios, colline de Lemnos.
De cette île, la grande flamme a atteint le troisième lieu, l’Athos, montagne de Zeus.
La force de la lumière, joyeuse et rapide, s’est élancée de ce faîte, par-dessus le dos de la mer, et, telle qu’un Hèlios, a répandu une splendeur d’or dans les cavernes du Makistos. Ici, sans retard, sans se laisser vaincre par le sommeil, on a transmis la nouvelle.
La clarté, projetée au loin jusqu’à l’Euripos, a porté le message aux veilleurs du Messapios ;
et ceux-ci, à leur tour, ayant allumé un monceau de bruyères sèches, ont excité la flamme et fait courir la nouvelle.
Et la lumière, active et sans défaillance, volant par delà les plaines de l’Asôpos, comme la brillante Sélènè, jusqu’au sommet du Kithairôn, y a fait jaillir un nouveau feu.
Les veilleurs ont accueilli cette lumière venue de si loin, et ils ont allumé un bûcher encore plus éclatant dont la lueur, par-dessus le marais de Gorgôpis, projetée jusqu’au mont Aigiplagxtos, a excité les veilleurs à ne point négliger le feu.
Ils ont déployé avec violence un grand tourbillon de flammes qui embrase le rivage, par delà le détroit de Saronikos, et se répand jusqu’au mont Arakhnaios, proche de la ville.
Enfin, cette lumière partie de l’Ida est arrivée dans la demeure des Atrides.
Tels sont les signaux que j’avais disposés pour se transmettre la nouvelle l’un à l’autre. Le premier a vaincu, et le dernier aussi. Telle est la preuve certaine de ce que je t’ai raconté. Le Roi me l’a annoncé de Troie.
Clytemnestre dans A nos Atrides ! (d’après Agamemnon d’Eschyle)
La troisième partie de la tragédie, Les Euménides, n’est pas la plus simple à mettre en scène, avec ses invraisemblables deus ex machina. Mais Laurent Pérez a su trouver les moyens de la projection et des images de synthèses psychédéliques, associées à la musique live du percussionniste Roland Bourbon, pour nous faire percevoir la grandeur des dieux mettant fin de la malédiction des Atrides. Magique !
Si vous voulez à votre tour réviser vos classiques, il reste encore une représentation d’A nos Atrides ! ce soir (15 mars) à 20h au Sorano. Quant à Sylvie Maury, on la retrouvera début avril sous le Pavé (Théâtre du Pavé) pour sa série de lectures-concerts Une heure avec… qui nous feront réentendre les meilleurs textes de Barbara, Brassens, Fontaine, Ferré et Gainsbourg. Bref, c’est un printemps magnifique qui s’annonce à Toulouse, n’est-ce pas ?
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.