C’est indéniable, les tyrans ont la cote ce mois-ci sur nos scènes et nos écrans : après Richard III au théâtre et Napoléon au cinéma, c’est Boris Godounov qui est actuellement à l’affiche à l’Opéra National du Capitole. La politique contemporaine et les conflits actuels stimuleraient-ils l’imagination des artistes ? Je me suis rendu hier à l’Opéra de Toulouse pour redécouvrir l’histoire de ce tsar controversé, mis en musique par Modeste Moussorgski et mis en scène par Olivier Py.
Boris Godounov, de la réalité à l’opéra
L’opéra de Modeste Moussorgski (1839-1881) découpé en sept tableaux reprend de près la structure de la pièce éponyme d’Alexandre Pouchkine (1799-1837). On y suit les sept années de règne du tsar Boris Godounov, régent qui a accédé au pouvoir après les morts suspectes de Fédor Ier et du tsarévitch Dimitri. Quelques années après ces événements, surgit un jeune homme qui rêve d’un destin glorieux et qui prétend être le fameux Dimitri – qui ne serait donc pas mort. Pour les opposants de Godounov, cette « résurrection » de l’héritier légitime est l’occasion parfaite pour renverser le pouvoir…
Ce n’est pas la première fois que l’Opéra National du Capitole joue Boris Godounov. En 2005, je découvrais cette œuvre pour la première fois dans la mise en scène de Nicolas Joël. Dix-huit ans plus tard, les temps ont changé et la mise en scène d’Olivier Py est nettement plus radicale, avec des clins d’œil explicites à l’actualité internationale. Ainsi, pour l’ancien directeur du Festival d’Avignon, l’histoire politique de la Russie présenterait éternellement les mêmes problématiques du XVIe siècle à nos jours : corruption et usage de la force, complicité entre le pouvoir et la religion, rupture entre le peuple asservi et l’élite oligarchique. Pour souligner cette constance, Olivier Py dresse même au milieu de la scène une fresque gigantesque de Vladimir Poutine et Joseph Staline se tendant la main, auréolés d’or… Personnellement, je ne pense pas que le public ait besoin de cela pour percevoir le message et comprendre combien des œuvres du temps passé nous parlent encore aujourd’hui avec pertinence. Ceci dit, même si la référence utilisée n’est pas subtile, elle présente au moins l’avantage d’être claire et sans ambiguïté.
Une mise en scène en or et en béton
La mise en scène d’Olivier Py oppose deux esthétiques. Tandis qu’une partie de la scénographie est totalement dorée (décors et costumes) et reprend l’imagerie des icônes orthodoxes, d’autres tableaux sont totalement construits dans un dégradé de gris qui rappelle l’époque communiste. On sent bien que la Russie est un état où coexistent deux univers irréconciliables : celui du peuple et celui des élites (politiques & religieuses).
Musicalement, les interprètes sont à la hauteur de la partition. Pendant 2 heures et sans entracte, les tableaux s’enchaînent avec fluidité, dans cette alternance d’or et de béton, jusqu’à ce que s’installent la nuit de la culpabilité et les flammes des remords. Les chœurs – très importants dans la partition de Moussorgski – m’ont semblé plus en puissance qu’en nuance, mais produisent des effets intéressants, notamment lorsqu’ils enserrent le public à 360 degrés.
Cette nouvelle production de l’Opéra National du Capitole est à voir encore jusqu’au 3 décembre prochain (à 20 heures en semaine et 15 heures le dimanche). Irez-vous la découvrir ?
Crédit photo de couverture : © Mirco Magliocca
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.