Des livres et des films avec des androïdes et des IA, on en connait des tonnes. Il est donc difficile de se renouveler avec ce type de sujet et de personnages. De Blade Runner à Ghost In the Shell, en passant par le film Her, on a l’impression que l’on a déjà tout dit sur la question. C’est pourquoi Mathieu Bablet déplace le sujet dans sa BD Carbone et Silicium : les personnages de ce récit s’émancipent peu à peu de la question de l’esprit (qui anime souvent les histoires d’intelligence artificielle) pour se poser la question du corps dans la construction de l’identité.
En résumé
Dans un futur pas si lointain, la Tomorrow Foundation a bien compris que le développement des IA et des androïdes est en passe de devenir le marché le plus important dans la société, c’est pourquoi ils dépensent des milliards pour devenir les leaders sur ce terrain. C’est dans ce contexte de course à la technologie que sont créés deux androïdes : Carbone et Silicium, une intelligence artificielle téléchargée dans deux corps mécaniques – celui d’une femme, Carbone, et celui d’un homme, Silicium. Comment cette même intelligence va-t-elle évoluer et se développer selon les expériences vécues par chacun des deux corps ? D’abord parfaitement identiques, Carbone et Silicium vont peu à peu s’individualiser au gré de leur histoire personnelle et le rapport qu’ils vont développer avec leur propre corps d’androïde et de gynoïde.
Un banquet des temps modernes
Carbone et Silicium est une bande-dessinée que l’on peut qualifier d’histoire d’amour impossible. Dans un monde futuriste qui se délite, deux âmes-sœurs se séparent et se recherchent avec le désir impossible de retrouver la fusion originelle. Il y a quelque chose de platonicien dans cette quête : dans Le Banquet, Platon expliquait que l’homme des origines était un hermaphrodite siamois que les dieux avaient coupé en deux, et qui cherchait tout au long de sa vie à reformer son unité originelle. Il y a donc quelque chose d’essentiellement philosophique et contemplatif dans Carbone et Silicium.
Le Yin et le Yang, complémentaires et opposés
Silicium est masculin, noir de peau, ancré dans le réel, alors que Carbone est féminine, blanche et spirituelle. Les deux personnages vont emprunter deux voies distinctes pour mener leur vie. A la quête de sens spirituel, intellectuel, que cherche vainement Carbone pour justifier son existence, Silicium privilégie les sens physiques (le contact direct avec le monde) et tente d’appréhender totalement la vie réelle sous tous ses aspects. Tout au long de la BD, on sent que Carbone et Silicium sont invinciblement faits l’un pour l’autre, et on est soi-même intérieurement déchiré en assistant aux échecs successifs qu’ils essuient pour se retrouver, inlassablement.
Dans cette BD de 270 pages aux couleurs “acajou zinzolin” (pour reprendre l’expression d’Alain Damasio qui a écrit la postface de cet ouvrage), j’ai retrouvé toute l’intelligence et la poésie de Mathieu Bablet, qui avait déjà frappé très fort avec Shangri-La. Même si le thème est un peu resucé, Bablet parvient insuffler sa propre marque et ouvrir la réflexion sur l’identité et le sens de la vie. Personnellement, j’ai été totalement emballé par cette BD que je vous recommande, en particulier si vous êtes fan de SF intelligente.
Qui a écrit cet article ?
Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
2 comments
Une bd que j’ai hâte de lire ! Je l’ai réservé à la bibliothèque, j’attends son retour en rayon pour la lire 🙂
J’espère que ça te plaira 🙂