Depuis 2 jours, Dafne triomphe au Théâtre Garonne. Ne manquez pas ce soir la dernière représentation de cet opéra madrigal composé en 1627 par Heinrich Schütz et réinventé en 2022 par Wolfgang Mitterer. Dans la mise en scène très graphique d’Aurélien Bory, ce spectacle enthousiasme le public toulousain.
Dafne, un opéra perdu qui renaît de ses cendres
Sur un livret de Martin Opitz qui reprenait le mythe de la métamorphose de la nymphe Daphné, le compositeur Heinrich Schütz avait composé en 1627 un opéra considéré comme le premier de langue allemande. Mais à la suite de nombreux incendies, la partition a été détruite et il n’en reste aucune copie aujourd’hui. Le livret de Dafne, en revanche, a traversé les siècles.
C’est donc de ce texte que s’est emparé le compositeur contemporain Wolfgang Mitterer pour faire renaître l’opéra de ses cendres. Empruntant à la tradition du madrigal mais aussi à la musique expérimentale, Mitterer invente une musique surprenante et envoûtante.
Wolfgang Mitterer navigue parmi des styles musicaux variés […]. Sa musique se caractérise par l’inattendu et le choc oxymorique : tissages d’ensembles instrumentaux multiples, de voix et de sons électroniques, association de bruits de scierie et d’orgues d’église anciens, rencontre de milliers de choristes et d’orchestres d’harmonie traditionnels.
Programme de Dafne
Dafne raconte l’histoire du dieu Apollon qui provoque la colère de son rival le jeune Cupidon. Pour se venger, ce dernier le pique de l’une de ses flèches d’amour et Apollon tombe éperduement amoureux de la nymphe Daphné, peu encline à accepter ses avances. Pour échapper au désir d’Apollon, Daphné implore son père le fleuve Pénée de la métamorphoser en laurier (δάφυη / dafnì). Apollon cueille alors une branche de cet arbre né de son amour insatisfait et en orne son carquois et sa lyre, en souvenir de la nymphe sacrifiée.
Dafne au cœur de la cible
La scène imaginée par le metteur en scène et scénographe Aurélien Bory est une cible. L’effet que produit cette piste circulaire est purement hypnotique. Quand elle entre en mouvement, elle fait tournoyer les chanteurs immobiles, comme un étrange ballet de statues. C’est là que se meut le monstrueux Python avant qu’Apollon ne l’abatte avec son arc (des centaines de flèches pleuvent alors des cintres). Ici aussi apparaît le dieu-enfant Cupidon, et ses dards rouge passion. C’est également sur cette cible que les flèches brisées du dieu-soleil deviennent les rayons de sa couronne. Bref, Aurélien Bory maîtrise parfaitement l’art des métamorphoses en faisant évoluer la scène et le décor à vue pour mieux nous en faire apprécier la magie.
Selon la tradition du madrigal, la musique de cet opéra est essentiellement vocale. Les Cris de Paris sont 12 sur scène pour interpréter collectivement les personnages de ce spectacle : la nymphe Daphné, le monstre Python, mais aussi les dieux Apollon, Cupidon et Vénus. Ces spécialistes de la musique du début du XVIe siècle à nos jours étaient les chanteurs idéaux pour reprendre ce livret du XVIIe siècle revisité de manière si contemporaine. Bien sûr, les puristes du belcanto déploreront l’utilisation d’une musique enregistrée et électronique qui remplace les habituels instruments qui jouent en live, ainsi que l’amplification des voix par des micros. Un pas de côté par rapport à la tradition dont, pour ma part, j’ai apprécié l’audace.
Si vous voulez découvrir ce spectacle musical très singulier qui détonne dans la programmation de l’Opéra National du Capitole, ne manquez pas d’aller ce soir au Théâtre Garonne pour la dernière de Dafne.
Photo de couverture : © Aglae Bory
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.