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De ta force de vivre, le “seule en scène” à fleur de peau de Marie-Ève Perron [AVIS]

by Julien
De ta force de vivre Marie Eve Perron

J’étais hier soir au Théâtre de la Cité pour voir De ta force de vivre, un spectacle écrit, mis en scène et interprété par Marie-Ève Perron. J’avais choisi ce spectacle dans la programmation sans vraiment regarder de quoi il s’agissait, mais simplement parce que j’avais déjà vu Marie-Ève Perron il y a presque 10 ans dans Marion fait maison (en 2013 quand je vivais encore en Lorraine), l’une de ses premières pièces qui m’avait beaucoup plu. En voyant le nom de cette artiste dans le programme du Théâtre de la Cité, cela m’a rappelé ce bon souvenir et voilà comment je me suis retrouvé dans le Studio du théâtre devant ce spectacle dont je n’attendais rien et qui m’a bouleversé !

De ta force de vivre, « boîte à outils » pour endeuillés

[…] s’il y a une chose qu’on sait tous, c’est qu’un jour où l’autre, qu’on le veuille ou non, de près ou de loin, on devra tous s’y confronter… à la mort.

Parce que ça fait partie du « deal ».

Oui.

Ça fait partie du « deal » de la vie.

Oui.

Ça fait partie de la vie… mourir.

Marie-Ève Perron, note d’intention du spectacle

Suite au décès de son père, la comédienne est sidérée. Écartelée entre ses racines québécoises et sa vie française, elle affronte la maladie de son père, sa dégradation physique et psychologique, son agonie et sa mort. Pas le temps de comprendre ce qui se passe, de prendre du recul, d’analyser la situation… Tout va si vite… Il faut gérer les urgences, prendre des décisions, et surtout – surtout ! – faire face aux autres, les médecins, les voisins, les connaissances plus ou moins lointaines, et au flux incessant de leur conversation chargée de lieux communs circonstanciés. Et gérer sa propre conscience qui lui dicte comment réagir socialement, même lorsque cela va à l’encontre de ce qu’elle ressent réellement. Mais a-t-elle seulement le temps de savoir ce qu’elle ressent ?

De ta force de vivre Marie Eve Perron
De ta force de vivre – Marie-Ève Perron

À travers son témoignage, Marie-Ève Perron fait plus qu’un spectacle autobiographique : elle nous parle de nous, de ce que l’on a vécu et de ce que l’on vivra tous. Les images fusent quand on entend les mots de l’actrice et ses émotions nous transpercent comme si c’étaient les nôtres.

Le deuil, un tabou que le théâtre brise

Quand j’y repense, on a beaucoup parlé de deuil cette année au théâtre et ça a paradoxalement fait beaucoup de bien ! On aurait naturellement tendance à croire que le sujet est plombant, qu’il va nous briser… Au contraire, lorsque le texte est écrit avec intelligence et qu’il est interprété avec autant de finesse que celle dont Marie-Ève Perron fait preuve, cela devient une véritable bouée de sauvetage, ou une « boîte à outil » comme elle le rappelle elle-même dans la note d’intention du spectacle.

En octobre dernier, nous avons commencé notre saison théâtrale avec Esprits d’Anna Nozière. Les cinq comédiens de la compagnie POLKa racontaient leur deuil (la disparition d’une mère, d’une sœur, d’un oncle, d’un père…) dans un spectacle qui nous avait littéralement mis à terre par sa poésie, sa beauté et sa luminosité. Seule en scène, Marie-Ève Perron accomplit la même prouesse en nous parlant de la disparition de son père alors que sa voix se mélange à des paroles enregistrées (sa conscience, les propos de ses proches) qui créent comme une étrange polyphonie.

De ta force de vivre Marie Eve Perron

Plus classique, il y a également eu cette année Le Roi se meurt au Théâtre du Pavé, le chef-d’œuvre de Ionesco qui rappelle à quel point notre sidération face à la mort est absurde, puisque cette échéance est connue de nous depuis notre naissance et que nous avons eu toute notre vie pour nous y préparer. Et pourtant, quand elle est enfin là, pourquoi nous sentons-nous si démunis ? Pourquoi la mort d’un père a-t-elle créé autant de malaise et de peur alors que, finalement, tout s’est passé dans l’ordre des choses ?

Pour finir, je veux vraiment vous rassurer : n’ayez pas peur de ce spectacle à cause de son thème ! De ta force de vivre trouve l’angle parfait pour soulever les bonnes questions et même nous amuser avec les réalités concrètes de la situation (notamment le capitalisme totalement décomplexé du secteur funéraire). Briser quelques tabous – et en rire – ne fait jamais de mal. Et on rit beaucoup devant De ta force de vivre. En plus, si vous ne connaissez pas encore Marie-Ève Perron, ce sera l’occasion de découvrir son travail, son écriture et sa magnifique présence scénique. Son spectacle reste à l’affiche au Théâtre de la Cité jusqu’au 19 mai.

Qui a écrit cet article ?

culture déconfiture Julien

Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.

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