J’ai découvert le cinéma d’Eric Rohmer en 2007 avec son dernier long métrage, Les Amours d’Astrée et Céladon. J’avais été assez désarçonné par ce film à l’époque, trouvant l’intrigue et les dialogues trop écrits, le jeu trop artificiel (voire proche de l’amateurisme).
Et puis, je me suis inscrit cette année à la médiathèque de Toulouse et j’ai découvert ses films plus anciens. Peut-être mes goûts se sont-ils affinés, ou ma culture s’est-elle élargie, mais je suis totalement tombé amoureux du cinéma d’Eric Rohmer, en particulier la série de six films rassemblés sous le titre Comédies et proverbes tournée au début des années 80. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que c’est précisément ce qui m’avait déplu il y a dix ans qui a fait qu’aujourd’hui j’ai adoré ses films : écriture sophistiquée et jeu presque théâtral (ou peu naturaliste) qui m’ont fait penser aux films d’Emmanuel Mouret (dans un style plus récent).
Les films de l’hexalogie Comédies et proverbes s’articulent chacun autour d’un personnage féminin face à ses contradictions ou ses déboires amoureux, et chaque métrage s’ouvre sur un proverbe ou une citation célèbre dont le parcours de la jeune femme serait l’illustration.
En voici les résumés par ordre chronologique, même s’il n’est absolument pas nécessaire de les voir dans cet ordre là puisqu’ils sont indépendants les uns des autres :
- La Femme de l’aviateur (1981) ou « On ne saurait penser à rien » (d’après Musset)
François surprend un matin sa petite amie Anne sortir de chez elle au bras de Christian, son ex, un aviateur qu’elle était supposée ne plus revoir. Si Christian était passé ce matin-là, c’était pour rompre définitivement avec Anne, mais François veut en avoir le cœur net et décide de passer sa journée à suivre les faits et gestes de l’aviateur pour ne plus douter.
- Le Beau Mariage (1982) ou « Quel esprit ne bat la campagne ? qui ne fait château en Espagne ? » (dixit La Fontaine)
Sabine est une jeune femme qui ne sait pas encore comment mener sa vie (amoureuse comme professionnelle). Son histoire d’amour avec un homme marié ne peut plus durer, aussi décide-t-elle de rompre et de trouver à son tour un époux… Mais qui ? C’est alors que son amie Clarisse lui présente son cousin Edmond, un avocat qui a tout pour plaire et qui est célibataire. Avant même qu’il ne se soit passé quoi que ce soit avec Edmond, Sabine annonce à tout le monde son beau mariage à venir.
Béatrice Romand et Arielle Dombasle dans Le Beau mariage
- Pauline à la plage (1983) ou « Qui trop parole, il se mesfait » (dixit Chrétien de Troyes)
Marion et sa jeune cousine Pauline passent l’été au bord de la mer. Après avoir retrouvé leur ami Pierre, les deux jeunes femmes font connaissance avec Henri et Sylvain qui deviendront leurs amours de vacances. Mais un jour, Pierre surprend une autre femme, nue, dans la maison d’Henri. Par amour et amitié pour Marion et Pauline, l’indiscret leur révèle la scène dont il a été le témoin.
- Les Nuits de la pleine lune (1984) ou « Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison » (proverbe)
Louise vit avec Rémi mais souhaite garder son indépendance, notamment pour sortir le soir sans avoir à rendre de comptes, ce qui n’est pas du goût de Rémi. Elle finit par prendre un appartement seule à Paris et partage ses semaines entre nuits chez son compagnon et sorties nocturnes avec son ami Octave. Peu à peu, la distance qu’elle a mise entre elle et Rémi finit par lui peser.
Fabrice Luchini et Pascale Ogier dans Les Nuits de la pleine lune
- Le Rayon vert (1986) ou « Que le temps vienne où les cœurs s’éprennent » (dixit Arthur Rimbaud)
Pendant une longue partie du film, Delphine tergiverse en se demandant où elle pourrait partir en vacances. Malgré les nombreuses propositions qui lui dont faites, rien ne lui sied. Elle finit par aller au bord de l’océan où elle entend un groupe de lecteurs parler du Rayon vert, un roman de Jules Verne dans lequel il est question d’un phénomène optique très particulier : par temps clair au bord de la mer, le tout dernier rayon du soleil peut prendre l’aspect d’un éclair vert. Une superstition voudrait que quiconque serait témoin de ce phénomène pourrait lire dans ses propres sentiments et dans les sentiments des autres.
Marie Rivière et Vincent Gauthier dans Le Rayon vert
- L’Ami de mon amie (1987) ou « Les amis de mes amis sont mes amis » (proverbe).
Blanche fait un jour la connaissance de Léa pendant une pause déjeuner. Les deux jeunes femmes se nouent d’amitié et Léa finit par présenter à Blanche son compagnon, Fabien, ainsi qu’Alexandre, un beau célibataire. D’abord tentée de séduire Alexandre, Blanche se rend compte petit-à-petit qu’elle est beaucoup plus proche de Fabien, l’ami de son amie. Mais comment être sûre de ses sentiments et de ses choix ?
Sophie Renoir et François-Eric Gendron dans L’Ami de mon amie
Des six films de l’hexalogie, j’ai de loin préféré le Rayon vert. C’est sans aucun doute celui dans lequel il se passe le moins de choses, mais les tergiversations de l’héroïne y sont d’un tel réalisme qu’on se croit par instants dans un documentaire de la série Strip-tease. Le film a d’ailleurs été primé à Venise en 1986 (Lion d’or) et son actrice Marie Rivière a reçu un prix d’interprétation (meilleure actrice) alors même qu’elle semble ne pas jouer…
L’Ami de mon amie et La Femme de l’aviateur figurent aussi dans mon palmarès et présentent également des personnages qui parlent bien plus qu’ils n’agissent. Les interrogations intimes de Blanche dans L’Ami de mon amie sont extrêmement subtiles, et l’enquête menée par François dans La Femme de l’aviateur nous tient en haleine de bout en bout.
Bref, je ne saurais trop vous recommander de découvrir Eric Rohmer si, comme moi, vous ne le connaissiez pas déjà.
Si vous aviez déjà vu ses films, lequel avez-vous préféré et lequel me conseilleriez-vous pour continuer ma rétrospective ?
Qui a écrit cet article ?
Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
