En ce moment, Toulouse accueille un événement hors-norme : le Théâtre du Soleil s’installe pendant tout le mois de novembre au Théâtre de la Cité avec le spectacle L’île d’or. Le dernier spectacle d’Ariane Mnouchkine nous emporte au Japon au gré de l’imagination d’une vieille dame qui rêve d’un festival depuis son lit d’hôpital.
Ariane Mnouchkine nous donne rendez-vous sur L’Île d’or
Hospitalisée, Cornélia se rêve au Japon à Sadogashima, surnommée l’île d’or. Là se prépare un grand festival international de théâtre sur fond d’élection municipale, de magouilles et de corruption… Peu à peu, les fantasmes artistiques de Cornélia se mêlent à ses propres souvenirs – une passion amoureuse de jeunesse pour une professeure de Lettres (Madame Spinoza) – et à ses angoisses existentielles – la maladie qui dévore la mémoire de sa mère.
Avec ses flash-backs sur un demi-siècle de théâtre et ses confidences intimes, L’île d’or oscille entre ode aux pouvoirs des spectacles vivants et œuvre testamentaire.
En vérité le Théâtre est toujours une île. Cela se sent et se soupçonne. Et un jour, sous une Tempête Politique, le Théâtre d’Or rompt les chaînes et les amarres et gagne le dehors. […] Des quatre coins du pauvre monde nous ne sommes pas venus à l’île pour oublier mais pour célébrer, relever. Nous sommes venus mettre nos nombreuses et diverses colères en musique, les jouer, les transformer et les faire entendre. Tenter d’éclairer le chaos du monde et d’illuminer les nids et les coins je joie et de promesse.
Hélène Cixous, autrice pour le Théâtre du Soleil depuis 1985
En novembre, c’est tout le Théâtre de la Cité qui se transforme en Île d’or. Dès que vous passez les portes du théâtre, vous accostez sur l’île et vous enfoncez dans ses terres. Le foyer est une immense cantine japonaise où les spectateurs peuvent se rencontrer avant le spectacle comme les nombreux touristes venus à Sadogashima. Le spectacle est une longue aventure de 3 heures vécue ensemble. Le voyage s’achève où il a commencé, avec à la sortie un magnifique concert de tambours japonais.
Bref, vous ne viendrez pas au Théâtre de la Cité pour simplement voir un spectacle. Venir assister à L’Île d’or, c’est vivre et partager une expérience théâtrale tous ensemble. C’est avoir nos cœurs qui battent à l’unisson.
De l’organisation et de l’anticipation
Si vous avez décidé de venir assister à L’île d’or, il vous faudra faire preuve d’un peu d’organisation. En effet, vous verrez que sur votre billet (que vous l’ayez acheté au Théâtre de la Cité ou à Odyssud) il est inscrit « placement libre ». Votre place réelle ne vous sera attribuée que lorsque vous arriverez sur les lieux. En d’autres termes : premiers arrivés, premiers servis.
Pour ma part, pour la représentation du samedi qui commençait à 14 heures, je suis arrivé au théâtre vers 11h50. Il y a avait déjà une belle queue devant le théâtre. Les portes ont ouvert vers 12h15 et les sièges ont été attribués dans l’ordre d’arrivée. En ce qui me concerne, j’ai donc eu une très bonne place, c’est-à-dire plutôt centrale, assez proche pour bien voir les détails du spectacle (qui sont nombreux) et avec un recul suffisant pour apprécier les très nombreuses scènes de groupe (il y a parfois 50 comédiens sur le plateau).
Si vous venez en soirée, prévoyez également d’arriver 1h30 avant le début du spectacle. Pour patienter ensuite jusqu’au début de la représentation, la cantine japonaise vous ouvrira ses portes avec des spécialités : Tamago sando (sandwich), Sushi et maki, Rāmen (soupe), Donburi (riz et viande), Cake matcha, thé Sencha et bière Asahi.
Un spectacle qui partage, déçoit et émerveille
L’île d’or est partagé en 2 actes. Je dois avouer que l’atmosphère pendant l’entracte était intense. Les spectateurs avec lesquels j’ai parlé étaient déstabilisés. Après la première partie, la plupart était perplexe ; beaucoup étaient même déçus… Toute cette attente pour ce grand j’y-fous-tout ? C’est vrai qu’on a l’impression que le spectacle aborde des dizaines de thèmes mais peine à donner du sens et surtout à créer de l’attachement pour ses très nombreux personnages. Certains spectateurs tombaient des nues : c’est donc ça le Théâtre du Soleil ?
Sauf que ce temps d’échange entre spectateurs a été salutaire… Puisqu’on est tous largué par le spectacle, c’est que c’est normal et que tout va bien. On est retourné dans la salle libéré de ce besoin de comprendre, de faire sens… et on a pris avec beaucoup plus de décontraction ce que le spectacle avait à nous donner : des tableaux absolument spectaculaires, une mécanique parfaitement huilée, une énergie communicative et une beauté renversante.
Influencé par toutes les formes de théâtre – et en particulier le kabuki – le spectacle foisonne de références artistiques, culturelles, politiques… C’est le monde entier qui s’est donné rendez-vous sur cette scène tapissée par les toiles d’Hiroshige, qui est en même temps une projection de tout ce qui a foisonné dans la tête de Cornélia-Ariane Mnouchkine au cours des 40 ou 80 dernières années.
Dès qu’on accepte de lâcher prise, on est dans un véritable éblouissement qui nous rappelle toutes les raisons pour lesquelles nous sommes tous des passionnés de théâtre. Tout ce qui m’avait bloqué dans le premier acte s’est envolé dans la deuxième partie. Si je devais donc vous donner un conseil en allant voir L’île d’or, c’est de ne pas vous crisper ni essayer de tout saisir, mais de vous laisser emporter par tout ce que ce généreux spectacle va vous donner. Alors oui, c’est un tsunami. Oui, vous ne saisirez pas tout. Mais non, ce n’est pas grave.
Le Théâtre du Soleil n’était pas revenu à Toulouse depuis 25 ans et la grande fresque des Atrides. Ne manquez donc pas ce grand événement qu’est L’île d’or, spectacle foisonnant, utopique et testamentaire. Puis revenez sur le blog nous dire ce que vous en aurez pensé !
Photo de couverture : L’Île d’or (Théâtre du Soleil, Ariane Mnouchkine) © Michèle Laurent
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.