Cette semaine, nous avons la chance de vivre un grand moment théâtral à Toulouse : le Théâtre Sorano accueillait sur sa scène le chef-d’œuvre de Samuel Beckett Fin de partie, mis en scène par Jacques Osinski et avec Denis Lavant dans l’un des rôles principaux. Nous avons eu la chance d’assister hier à l’une des représentations, une véritable leçon de théâtre !
Fin de partie, comédie dans une ambiance de fin du monde
Samuel Beckett est un homme de cinquante ans quand il écrit Fin de partie en 1957. La pièce se déroule dans un univers post-apocalyptique et met en scène quatre personnages : Hamm, un homme aveugle, paralysé et tyrannique (interprété par Frédéric Leidgens), Clov, son serviteur qui ne peut pas s’asseoir et qui ne peut pas partir (Denis Lavant, magistral), ainsi que Nagg et Nell, les parents de Hamm, qui vivent dans des poubelles. La pièce se déroule dans une sorte de bunker ou de maison délabrée, symbole d’un monde en déclin et d’une fin imminente.
Dans la mise en scène de Jacques Osinski, qui respecte scrupuleusement les intentions de Beckett, les personnages sont pris au piège dans des relations de dépendance et de domination. Ils sont confrontés à leur propre insignifiance et à l’absurdité de l’existence. J’ai adoré l’articulation très snob et empruntée de Frédéric Leidgens pour jouer Hamm, à la fois très irritant et extrêmement tendre. Son humour cinglant a souvent fait mouche, comme ont pu le confirmer les rires dans la salle. Pourtant, la pièce n’est pas fondamentalement gaie, car elle explore des thèmes tels que la solitude, la dépendance, la mort et la quête de sens dans un monde dépourvu de signification… Et pourtant depuis sa poubelle, Nell (Claudine Nelvaux) l’affirme : « Rien n’est plus drôle que le malheur » et on ne peut pas lui donner tort…
Nell.- Il ne faut pas rire de ces choses, Nagg. Pourquoi en ris-tu toujours ?
Nagg.- Pas si fort !
Nell (sans baisser la voix).- Rien n’est plus drôle que le malheur, je te l’accorde. Mais-
Nagg (scandalisé).- Oh!
Nell.- Si, si, c’est la chose la plus comique au monde. Et nous en rions, nous en rions, de bon cœur, les premiers temps. Mais c’est toujours la même chose. Oui, c’est comme la bonne histoire qu’on nous raconte trop souvent, nous la trouvons toujours bonne, mais nous n’en rions plus.
Fin de Partie, Samuel Beckett (1957)
Une pièce absurde, vraiment ?
Samuel Beckett est souvent associé au mouvement du théâtre de l’absurde, catégorisation sur laquelle nous nous interrogions déjà en 2021 après avoir vu En attendant Godot. Fin de partie se caractérise par son langage dépouillé, ses répliques laconiques et son atmosphère tantôt oppressante, tantôt clownesque. À première vue, le non-sens prédomine. Et pourtant, si on écoute vraiment ce que disent les personnages, leur vision de l’existence n’est pas si absurde que ça. Pessimiste, peut-être. Ou désabusée. Mais pas vraiment absurde.
Fin de partie est considérée comme une pièce essentielle dans la bibliographie de Samuel Beckett car elle incarne parfaitement son goût pour une esthétique minimaliste, voire expérimentale. La scénographie de Yann Chapotel fait parfaitement honneur aux intentions de l’auteur. Cette pièce, qui a profondément influencé le théâtre moderne, sonne encore aujourd’hui de façon très juste pour sa profondeur philosophique. Mais ce que je retiendrai surtout, ce sont les nombreux fous-rires qui ont ponctué la représentation.
Si vous voulez découvrir ce spectacle, vous en avez encore la possibilité ce soir à 20h car la pièce sera rejouée une dernière fois au Sorano. On recommande à 100%.
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.