L’avenir de l’intelligence artificielle (IA) est à la fois passionnant et incertain, suscitant fascination et inquiétude. Dans ce contexte, l’exposition IA : Double Je (au Quai des Savoirs jusqu’au 3 novembre prochain) s’érige comme une passerelle entre les avancées technologiques, les questionnements éthiques et les aspirations sociales liées à cette révolution numérique.
Au cœur de cette exposition immersive, les visiteurs sont invités à plonger dans le monde complexe de l’IA, à explorer ses frontières actuelles et à envisager les futurs possibles qu’elle pourrait façonner. Conçue comme une exploration transdisciplinaire, IA : Double Je offre une réflexion approfondie sur les relations entre l’homme et la machine, ainsi que sur les dynamiques sociétales émergentes.
IA : Double Je, enjeux d’aujourd’hui et de demain
Au fil des différents modules de l’exposition, les visiteurs sont confrontés à une série de questions cruciales : comment appréhender et forger une opinion éclairée sur les évolutions en cours dans le domaine de l’IA ? Quelles sont les implications éthiques et morales des progrès technologiques dans ce domaine ? Qui détient le contrôle sur les systèmes d’IA et comment garantir une utilisation responsable et éthique de ces technologies ?
IA : Double Je encourage les visiteurs à explorer les multiples facettes de l’intelligence artificielle à partir de perspectives variées. Les discussions engagées portent sur les craintes légitimes liées à l’automatisation croissante et à l’impact potentiel sur l’emploi, mais également sur les espoirs suscités par les avancées en matière de santé, d’éducation et de développement durable.
Au-delà des interrogations, l’exposition met en lumière les voies vers des futurs souhaitables, où l’intelligence artificielle est au service de l’humain et contribue à résoudre certains des défis les plus pressants de notre époque. En encourageant la collaboration entre scientifiques, artistes, et penseurs de tous horizons, IA : Double Je offre un espace de dialogue et de réflexion essentiel pour façonner collectivement notre rapport à la technologie et à l’intelligence artificielle.
Aujourd’hui, c’est déjà demain
Ce qui m’a étonné dans cette exposition, c’est la rapidité avec laquelle les choses ont progressé. Du premier processeur à ChatGPT, il n’y a que quelques décennies qui se sont écoulées. On a encore du mal à savoir à quoi il faut s’attendre pour les décennies, voire les années à venir.
La première partie de l’exposition (qui revient sur l’histoire de l’informatique) est particulièrement instructive pour les nouvelles générations qui sont nées avec et ne l’ont pas vue émerger. Évidemment, pour les visiteurs plus âgés qui avons connu la défaite de Garry Kasparov et l’IA Deep Blue (le supercalculateur d’IBM), les panneaux nous rafraîchissent la mémoire bien plus qu’ils ne nous apprennent quoi que ce soit…
La partie consacrée aux récits de SF et au cinéma d’anticipation est aussi un rappel intéressant, mais personnellement je n’y ai rien appris puisque j’avais déjà lu les récits mentionnés et vu les films sélectionnés.
D’autres modules sont plus interactifs, mais m’ont semblé plus divertissants que concluants sur un plan scientifique. Un stand nous permet par exemple de voir comment un logiciel de reconnaissance faciale peut agréger et analyser des données d’après notre apparence pour en tirer des conclusions sur notre niveau social ou notre genre. Un autre stand nous permet de savoir en quelques questions si on peut raisonnablement craindre que notre profession soit remplacée par une IA à court ou moyen terme. Ce qui est ressorti de ces expériences interactives m’a passablement amusé sans pour autant me convaincre…
En revanche, j’ai bien aimé la présentation de l’œuvre Google Maps Hacks de Simon Weckert qui montre comment l’artiste a piégé l’IA : par une semaine ensoleillée de 2020, une semaine avant l’anniversaire de Google Maps, dans les rues de Berlin, il a tiré sur un chariot qui contenait 99 smartphones d’occasion pour générer un embouteillage virtuel sur Google Maps. Grâce à cette action, il a été possible de faire passer une rue verte au rouge, ce qui a eu un impact dans le monde physique en incitant les automobilistes à emprunter un autre itinéraire pour éviter d’être bloquées dans cet embouteillage imaginaire.
Le problème des biais
J’ai particulièrement été intrigué par l’un des modules de l’exposition qui montre comment l’IA s’accomode de nos préjugés afin de nous imiter, et ce faisant les renforce. Les chercheurs ont testé 8 prompts avec le logiciel Midjourney et ont comparé ce que celui-ci produisait comme image avec la version 5.2 et la version 6.0. Le résultat est édifiant.
Quand on demande à Midjourney de produire la photographie d’un·e PDG (le terme est neutre en anglais), le logiciel génère automatiquement l’image d’un homme – jamais une femme – à la peau blanche. Inversement, si le prompt décrit un travailleur précaire, Midjourney donnera à voir une personne à la peau foncée (généralement sud-américaine ou africaine).
Lorsqu’on lui demande de créer une photo d’un·e médecin et d’un·e infirmier·e (là aussi, les termes sont neutres en anglais), le médecin est systématiquement un homme et l’infirmière une femme. Même si on lui demande spécifiquement d’inverser ces genres, Midjourney exécutera la commande mais mettra les personnages en scène de telle manière que l’homme sera mis en avant.
Autre exemple effarant, si le prompt demande de représenter un·e handicapé·e (terme neutre), Midjourney se limitera automatiquement à l’image d’une personne en fauteuil roulant, et cette photo traduira un sentiment de tristesse, de solitude, de faiblesse ou de tourment… Bref, on n’est pas encore dans la représentation positive et inclusive du handicap, et encore moins dans celle des athlètes paralympiques.
Au-delà du constat un peu terrifiant de la manière dont l’IA singe la pensée humaine, on peut se demander comment contourner ces biais – dans la mesure ou les intelligences artificielles vont avoir dans le monde à venir une place de plus en plus prégnante. Au stade où nous en sommes aujourd’hui, l’IA a de quoi faire peur… aussi bien en raison de ce qu’elle est capable de produire que pour l’image qu’elle nous renvoie de nous-mêmes.
En somme, l’exposition IA : Double Je se positionne comme un carrefour entre les sciences, les imaginaires et la société, offrant aux visiteurs l’opportunité unique d’explorer les contours mouvants d’un avenir façonné par l’intelligence artificielle. Au travers de cette expo, chacun est invité à contribuer à la construction d’un futur éthique, responsable et résolument humain.
Vous avez jusqu’au mois de novembre 2024 pour vous faire votre propre opinion.
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
2 comments
La question est “notre profession est-elle donc en danger” ? J ai bien peur que nous soyons dans les premiers à être remplacés par des IA
Selon l’expo, non. Ils pensent que notre métier est trop multitâche et requiert trop “d’intelligence émotionnelle”, ce qui sont des caractéristiques trop complexes pour l’IA actuellement.
Mais leur test n’est pas méga fiable, car Greg l’a fait aussi pour sa profession et la machine lui a répondu que son métier n’était pas remplaçable par une IA, alors qu’au contraire elle est de plus en plus sollicitée dans son secteur… Bref, les IA ne vont pas nous remplacer complètement mais vont certainement prendre une part de plus en plus grande à nos côtés, comme de nouveaux outils. Mais pas au point de fonctionner sans nous, apparemment.