Avec beaucoup de retard, j’ai enfin vu Illusions perdues de Xavier Giannoli, adapté du roman de Balzac. In extremis, car le film n’est plus projeté que dans une seule salle toulousaine, et hier soir c’était la dernière diffusion.
Aux origines d’Illusions perdues, un classique de la littérature française
Illusions perdues est probablement l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature française. Écrit par Honoré de Balzac, il couronne un ensemble de sa Comédie Humaine : Scènes de la vie de province. Pour beaucoup – dont Marcel Proust – ce roman est le plus grand et le plus puissant de son auteur, un véritable modèle.
Lucien Chardon est un jeune imprimeur d’Angoulême, poète à ses heures, qui rêve d’échapper à son milieu et être reconnu parmi les grands auteurs de son siècle. En rupture avec ses origines modestes, il utilise le nom de sa mère pour signer ses œuvres, de Rubempré, et espère avoir un jour le droit officiel de porter ce nom.
Grâce à sa maîtresse Madame de Bargeton, Lucien “monte” à Paris et fait peu à peu sa place dans le milieu de la presse et de la critique littéraire, s’attache à une comédienne des Boulevards, Mademoiselle Coralie, oublie sans s’en rendre compte ses aspirations artistiques au profit d’une gloire éphémère et superficielle.
La dernière partie du roman, qui raconte le retour de Lucien à Angoulême, n’est pas transposée dans le film de Xavier Giannoli.
Une mise en scène parfaitement maîtrisée
Le scénario du film fait de sérieuse coupes dans le roman de Balzac. En effet, comment tout transposer dans un seul film à partir d’un roman aussi touffu qui lui même comporte trois parties ? Mais les choix sont pertinents et se concentrent sur un élément essentiel du récit : l’ascension puis la désillusion de Lucien Chardon, a.k.a. Lucien de Rubempré.
Pour jouer le personnage principal, Benjamin Voisin est un acteur convaincant. Tantôt niais, tantôt romantique, il joue parfaitement la partition du personnage rêveur qui plonge dans la gueule du loup parisien. Dans le nombreuses scènes, il m’a fait penser au Georges Duroy incarné par Robert Pattinson dans Bel-Ami (dans le film de 2012 que j’avais adoré). On est face au même type de personnage provincial dévoré par la frénésie parisienne, à ceci près que Lucien n’a pas le talent de Duroy pour faire tourner la situation en sa faveur.
J’ai été plutôt étonné par les rôles secondaires qui sont vraiment excellents. Etienne Lousteau, qui guide Lucien dans le microcosme parisien, est campé par Vincent Lacoste que j’ai trouvé bon pour la première fois de sa carrière. Habituellement, cet acteur m’insupporte par ses petites grimaces, sa voix enrhumée, son sourire pesteux. Il est ici impeccable pour donner chair à un personnage clé de cette intrigue.
Xavier Dolan est lui aussi parfait dans le rôle du “meilleur ennemi” de Lucien. Comme un double idéal, il suit une trajectoire parallèle à celle du héros et parvient à maintenir une ambiguïté tout au long de l’histoire quant à ses intentions.
Dans des rôles secondaires mais d’importance, on retrouve deux superstars du cinéma français : Gérard Depardieu en éditeur illettré et Jeanne Balibar en marquise manipulatrice. Tous deux sont vraiment exquis.
Illusions perdues : un éclairage sur le monde contemporain
La force de ce scénario, c’est d’avoir su faire un parallèle constant entre la société de la Restauration et le monde contemporain. Peu à peu, Lucien voit la finance prendre le pouvoir dans la société (“un jour, un banquier deviendrait ministre“) et les valeurs morales s’effondrer. Tout se monnaye : les applaudissements dans les théâtres, les critiques littéraires (qui ne lisent jamais les livres qu’ils critiquent afin “de ne pas être influencés“), les espaces publicitaires dans les journaux… La polémique remplace peu à peu l’information, les éditorialistes prennent la place des journalistes, et dans de monde où tout le monde avance masqué, il n’y a finalement que les actrices de théâtre qui soient véritablement sincères dans leurs paroles, leurs actes et leurs sentiments.
Ce film qui adapte partiellement le roman de Balzac m’a donné très envie de me plonger dans l’œuvre originale, qui m’a toujours impressionné par son volume mais aussi sa réputation. Et vous, avez-vous vu ou lu ces Illusions perdues ? Qu’en avez-vous pensé ?
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
2 comments
Jamais lu le roman, même si effectivement c’est un classique dont j’ai beaucoup entendu parler ! Tu es dur avec Vincent Lacoste, je l’ai beaucoup aimé dans Jacky au royaume des filles (en mode 300% WTF il est vrai ^^)
J’avais beaucoup aimé Jacky aussi, mais plus pour le film en général que pour Vincent Lacoste lui-même.