La Biennale bat son plein à Toulouse et, pour cette deuxième semaine de festival, je suis allé voir le spectacle Koulounisation de Salim Djaferi au Théâtre de la Cité. Une claque ! L’auteur et interprète d’origine algérienne nous emmène dans une aventure à la fois personnelle et collective à travers un spectacle qui explore les méandres de la colonisation de l’Algérie, par le prisme du langage. Tout commence par une simple question posée à sa mère : « Comment dit-on colonisation en arabe ? » Sa réponse, koulounisation, déclenche une enquête passionnante et complexe sur les mots et leur pouvoir à façonner notre perception de l’Histoire.
Koulounisation, une quête linguistique au cœur de l’Histoire
L’enquête de Salim Djaferi prend la forme d’une exploration phonético-linguistique entre deux rives de la Méditerranée. En Algérie, il recueille des récits intimes et des points de vue variés sur cette période encore trop mal connue (ou mal transmise). D’ailleurs, il y découvre que le mot koulounisation n’est pas le seul à être utilisé en arabe pour traduire le mot français. La langue arabe regorge de synonymes, qui apportent chacun une nuance et un éclairage sur cette période de l’Histoire.
Là où la France parle de « Guerre d’Algérie », les livres algériens évoquent la « Révolution algérienne ». Cette différence de terminologie reflète les traces profondes laissées par l’Histoire dans les mémoires collectives. Sur scène, l’artiste déroule un fil de définitions perturbées par la colonisation, transformant progressivement notre langage mais aussi nos noms.
En juillet 2018, j’étais dans une librairie à Alger. Je cherchais le rayon « Guerre d’Algérie », sans succès. Sur le point d’abandonner, j’ai fini par interroger la libraire qui m’a répondu : « Tous les ouvrages sur la Guerre d’Algérie se trouvent au rayon Révolution. » Évidemment, oui : c’était une Révolution. Je ne l’avais seulement jamais nommée ainsi et, par conséquent, jamais réellement pensée ainsi. Je me suis tout de suite demandé d’où venait une telle différence : qui m’avait appris à dire « guerre » et qui leur avait appris à dire « révolution » ? Cette prise de conscience a déclenché une quête et une enquête. De rencontres en anecdotes, Koulounisation se nourrit des histoires des autres et des mots qu’ils et elles emploient pour raconter ces histoires.
Salim Djaferi
Une scénographie visuelle et plastique
Au-delà des mots, Koulounisation met en lumière la violence du réel. Du sang, des effondrements, des matériaux visuels et plastiques viennent rappeler la brutalité de cette histoire. Le spectacle ne se limite pas à un propos documentaire, mais adopte une approche esthétique riche, à l’image du décor mouvant comme un jeu de Lego qui se construit et se déconstruit, symbolisant la manière dont la pensée se forme. J’ai vraiment aimé cette manière d’illustrer, de façon simple et efficace, les concepts parfois très abstraits que Salim Djaferi essaie de nous expliquer. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu un spectacle aussi brillant, tant sur le fond que dans la forme.
Alors que la première semaine de la Biennale m’avait un peu laissé sur ma faim (30 appearances out of Darkness, bof bof… Have a good day !, mouais… Minga de una casa en ruinas, sans plus…), ce seul en scène m’a vraiment permis de retrouver les sensations que j’aime au théâtre, celles qui vous saisissent à la fois au ventre et au cerveau.
L’interaction avec le public
Salim Djaferi, par sa présence scénique douce et réfléchie (et le rythme qu’il impose dès les premières secondes), invite le public à une réflexion collective. Il interpelle, interagit et fait participer son auditoire, rendant cette quête mémorielle vivante et accessible. Koulounisation, spectacle illusoirement simple et véritablement profond, offre une approche quasi didactique, sublimée par un jeu d’acteur magnétique.
Si vous en avez l’occasion, ne manquez pas d’aller voir Koulounisation. La pièce est à l’affiche du Théâtre de la Cité pendant la Biennale jusqu’au 12 octobre prochain. Pour moi, c’est certainement la meilleure pièce de cette édition.
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.