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La Promesse, Friedrich Dürrenmatt [CRITIQUE]

by Julien
La promesse Friedrich Durrenmatt © Culture déconfiture

Ce n’est pas la première fois que je vous parle de l’auteur suisse Friedrich Dürrenmatt sur Culture déconfiture. J’avais adoré la pièce La Visite de la vieille dame (retrouvez l’article ici) et Charlotte vous avait parlé de sa mise en scène par l’Atelier de la Gare (). La force de cet auteur est d’inventer des histoires qui interrogent les faiblesses de l’âme humaine. J’ai profité des ponts du mois de mai pour lire l’un de ses romans, intitulé La promesse. Dans les bois aux environs de Zurich, la petite Gretl Moser a été assassinée à coups de rasoir. Un commissaire jure sur son âme qu’il mettra tout en œuvre pour retrouver l’assassin.

Un scénario de film à l’origine du roman La Promesse

La Promesse est un roman de commande. Friedrich Dürrenmatt a d’abord écrit le scénario du film Ça s’est passé en plein jour, commande du producteur Lazar Weschsler au printemps 1957 et réalisé par Ladislas Vajda. Le titre ne plaisait pas à Dürrenmatt qui aurait préféré l’intituler Ce matin, Dieu est resté au lit ou Schrott parte en vadrouille. Le film raconte l’enquête d’un commissaire sur fond de meurtre d’enfant et de crime pédophile. Ce film est présenté à la berlinale le 4 juillet 1958 (avec Michel Simon dans le rôle du colporteur, le principal suspect du meurtre).

Entre mars et juillet 1958, Friedrich Dürrenmatt retravaille son scénario en profondeur pour en faire un roman et y ajoute – outre le sous-titre devenu célèbre « Requiem pour le roman policier » – une nouvelle conclusion, ainsi qu’un récit-cadre (absent du film).

J’ai repris la fable, je l’ai étoffée, j’ai voulu l’emmener au-delà du pédagogique. Le cas particulier que j’avais traité a engendré le cas du détective, critique d’une des grandes figures les plus typiques du XIXe siècle, et c’est ainsi que, par la force des choses, j’ai dépassé l’objectif que le film, en tant qu’œuvre collective, avait dû se fixer.

Friedrich Dürrenmatt, postface à la première édition de 1958

Ce scénario et ce roman ont connu de nombreuses adaptations après 1958 : La Promesse d’Alberto Negrin (en 1978), The cold light of the day de Rudolf van den Berg (en 1994), un téléfilm allemand en 1997, un film hongrois intitulé Crépuscule, mais surtout le plus célèbre d’entre eux, The Pledge de Sean Penn (en 2001) avec Jack Nicholson dans le rôle du commissaire Jerry Black.

La Promesse, anti-roman policier

Un auteur de romans policiers fait un jour la connaissance d’un commandant de police qui n’aime pas du tout les polars. Son principal grief : le fait que les inspecteurs des romans parviennent toujours, de manière plus ou moins prévisible, à résoudre les enquêtes auxquelles ils sont confrontés. Or, selon lui, cela n’a rien à voir avec la réalité du métier. Il en veut pour preuve l’histoire de son ancien commissaire, Matthias, dont il va faire le récit.

Vous vous êtes aussi demandé pourquoi je me suis arrêté dans cette lamentable station-service, et je vais vous le dire tout de suite : l’épave qui vous a fait le plein, ce pauvre hère imbibé d’alcool, c’était mon meilleur élément. Dieu sait que je connaissais le métier, mais Matthias était un génie, et d’un autre calibre que l’un de vos détectives.

La Promesse, page 16 (Totem, la collection de poche des Éditions Gallmeister, traduit par Alexandre Pateau)

Le cœur du roman est donc centré sur Matthias et l’enquête qu’il a menée pour trouver l’assassin d’une petite fille, Gretl Moser. L’histoire est sordide et d’autant plus désespérante qu’il n’y a presque aucune piste. Pire, l’affaire semble résolue d’avance : un colporteur a avoué être l’auteur du crime avant de se suicider. Pourtant, ce coupable tout désigné ne correspond en rien au signalement qu’en ont fait certains enfants : l’assassin serait un géant qui offre des hérissons… ce qui lui vaut le surnom de « gérisson » !

Dürrenmatt a vraiment parfaitement croqué la solitude de l’inspecteur face au crime, au mystère, et à son incapacité à faire jaillir la lumière ou à démasquer le « gérisson ». L’auteur joue avec les codes des romans policiers et nous balade totalement, quitte à décevoir la plupart de nos attentes et résoudre le mystère de la façon la plus inattendue possible.

– Qui est l’assassin ? dit-elle d’une voix si calme et impersonnelle que Matthias sursauta.

– Je le trouverai, madame Moser.

La femme le dévisageait maintenant, d’un air menaçant, imposant.

– Vous le promettez ?

– Je le promets, madame Moser, dit le commissaire, brusquement saisi par l’envie de quitter les lieux sur-le-champ.

– Sur le salut de votre âme ?

Le commissaire hésita.

– Sur le salut de mon âme, finit-il par répondre.

Que dire d’autre ?

– Alors allez-y, partez, ordonna la femme. Vous avez juré sur votre âme.

La Promesse, pages 31-32 (Totem, la collection de poche des Éditions Gallmeister, traduit par Alexandre Pateau)

Amateurs de polars, ce livre-là, j’en suis sûr, ne ressemble à aucun de ceux que vous avez déjà lu. L’intrigue est l’une des plus désespérantes que l’on puisse imaginer et on comprend pourquoi Sean Penn s’en est emparé pour la raconter dans The Pledge.

En revanche, ne vous attendez pas à retrouver dans La Promesse l’humour mordant de La Visite de la vieille dame. Ici, aucune ironie. On est sur un roman noir. Très noir.

Avez-vous déjà lu La Promesse ou vu The Pledge ? Qu’en avez-vous pensé ?

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culture déconfiture Julien

Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.

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