Récemment, j’ai lu La punition de Tahar Ben Jelloun, son avant-dernier roman (ou plutôt “récit”, comme cela est indiqué sur la couverture de l’édition Gallimard). La punition raconte un calvaire, lit-on sur la quatrième de couverture : pour avoir manifesté pacifiquement dans les rues des grandes villes du Maroc en mars 1965, quatre-vingt-quatorze étudiants sont mobilisés pour un service militaire forcé et absurde. Enfermés dans des casernes et prisonniers de gradés dévoués au général Oufkir, ils subissent humiliations, mauvais traitements et manœuvres militaires dangereuses sous des prétextes imaginaires. Tahar Ben Jelloun était l’un de ces quatre-vingt-quatorze étudiants, un passionné de cinéma et de poésie, un jeune rêveur plongé dans le cauchemar de la dictature… Il raconte au présent et sans fioriture ce que furent ces longs mois qui marquèrent à jamais ses vingt ans, nourrirent sa conscience et le firent secrètement naître écrivain.
Avant de nous diriger vers la porte du camp, mon frère me serre dans ses bras et je sens qu’il pleure. Il me dit à voix basse : “Mon frère, je vais te remettre entre les mains de brutes et je n’ai même pas le droit de savoir pourquoi ni combien de temps ces gens vont te retenir ici. Sois courageux et si tu peux nous envoyer des messages, fais-le. Ecris des choses banales, nous lirons entre les lignes.” Il me propose quelques formules : “Tout va bien” pour dire que cela va mal. “Tout va très bien” pour dire “Tout va très mal”. “La nourriture est aussi bonne que celle de maman” pour dire que de ce côté-là ce n’est pas mieux. Enfin, en cas de drame, il faut dire “Le printemps a fait une escale chez nous”. Je le rassure puis le remercie de m’avoir accompagné jusqu’à la porte.
La punition – Tahar Ben Jelloun
J’ai lu ce récit d’une traite, comme un témoignage à vif. Forcément, le sort de ces prisonniers m’a fait penser à Si c’est un homme de Primo Levi, tant les rouages absurdes des deux camps décrits sont similaires et où les prisonniers ont été réduits à des matricules. Il aura fallu 50 ans à l’écrivain pour dépasser ce traumatisme et livrer ce témoignage essentiel.
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.