Il y a peu, je déjeunais avec un collègue. Il avait vraiment l’air crevé. Il m’explique : “En ce moment, je suis en train de lire un livre passionnant, du coup le soir je n’arrive pas à m’arrêter et je ne dors plus beaucoup. Ça s’appelle La serpe, c’est une enquête de Philippe Jaenada.” Il m’a fait le pitch. J’ai ajouté le jour même La serpe à ma PAL. Et cet été, je l’ai lu.
Philippe Jaenada s’est lancé dans une enquête des plus troublantes. Une nuit d’octobre 1941, dans un château au fin fond du Périgord, Henri Girard est le seul survivant d’un massacre perpétré avec une serpe. Parmi les victimes : son père, sa tante et leur domestique. Aucun signe d’effraction au château. Aucun autre suspect qu’Henri Girard lui-même, un jeune homme coléreux, dépensier et avide d’argent dont le mobile est tout trouvé : percevoir un héritage colossal. Or, lors du procès qui aura lieu quelques années plus tard, il sera innocenté malgré les expertises, les dizaines de témoignages accablants, l’invraisemblance de ses déclarations…
Philippe Jaenada a décidé de réouvrir l’enquête plus de soixante-dix ans après et de percer ce mystère plus épais encore que celui de la chambre jaune. Que s’est-il réellement passé lors de cette nuit d’octobre ? Pourquoi le tribunal n’a-t-il pas condamné le seul suspect, dont la culpabilité était pourtant évidente ? Peut-on écrire un autre scénario pour cette nuit de 1941, qui expliquerait tout ? Pas moins de 634 pages sont nécessaires pour faire la lumière sur ce fait divers qui a agité la France pendant l’Occupation. L’occasion également de faire le portrait d’un écrivain français : Georges Arnaud (c’est sous ce pseudonyme qu’Henri Girard est passé à la postérité après avoir rencontré un succès fracassant en publiant Le salaire de la peur, adapté par Clouzot en France avec Yves Montand, et qu’Alfred Hitchcock voulait également adapter pour les Etats-Unis).
Pouvait-on raconter cette histoire en moins de pages ? C’est fort probable. Sur les 634 pages de ce livre, une bonne moitié ne sont que des digressions de l’auteur (ses mésaventures en Opel Meriva, les anecdotes truculentes sur son fils avec un thermomètre dans les fesses, ses problèmes de communication avec la serveuse d’un restaurant asiatique qui lui parle de “ses moutons”…). Mais ces digressions sont ce qui fait le style de Jaenada, injectant une bonne dose d’humour dans une histoire qui, sans cela, serait vraiment sordide.
Bref, comme mon collègue, une fois lancé dans la lecture de La serpe, je n’ai pas pu en ressortir avant de l’avoir fini. J’avoue qu’arrivé au milieu du livre, j’ai eu un doute. L’auteur avait déjà raconté la biographie du personnage, le massacre, l’enquête, le procès et son dénouement. Je me demandais ce qu’il restait à lire dans les 350 pages suivantes. C’est en fait le point de départ de la contre-enquête, et selon moi la partie la plus intéressante du bouquin, qui éclaire tout ce qui précède et permet de faire un pas de côté pour déchiffrer autrement les événements. Intelligent. Et passionnant.
Et vous, avez-vous déjà lu des romans de Philippe Jaenada ? Que pensez-vous de cet auteur et de ses enquêtes ?
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
2 comments
J’avais beaucoup aimé ce livre également ( ainsi que tous ceux de Jaenada que j’ai eu l’occasion de lire) , même si celui-ci est plus genre polar, ce qui n’est pas pour me déplaire.
Je n’en ai pas lu d’autres. Je me demande s’il a le même style dans tous ses romans (les nombreuses digressions). Mais je serais quand même curieux d’en lire d’autres pour me faire une idée.