Je vous en ai fugacement parlé dans le bilan du mois de juin 2021, mais j’ai vraiment bien ri en lisant L’Anomalie du train 006 de Pascal Fioretto. Si le titre provoque chez vous un air de déjà-lu, c’est normal, puisque ce roman est le pastiche du célèbre prix Goncourt 2020, L’Anomalie d’Hervé Le Tellier.
Avec l’aval de l’auteur original qui a préfacé cette parodie, Pascal Fioretto repend tous les ingrédients du best-seller pour faire un tableau à l’acide du monde littéraire contemporain.
De L’Anomalie à L’Anomalie du train 006…
Dans le roman d’Hervé le Tellier, une anomalie se produisait à bord d’un avion entre Paris et New-York. Je ne vous révèle pas la nature de cette anomalie, parce que c’est là que réside tout l’intérêt et le suspense du roman… Mais ce qu’il y a de drôle dans le pastiche de Pascal Fioretto, c’est qu’il reproduit exactement le même procédé dans son roman… à ceci près que l’action ne se déroule plus dans un avion mais à bord d’un Intercité de la SNCF reliant Paris à Brive-la-Gaillarde. Rien que le changement de cadre a tendance à me faire sourire !
Ce n’est pas la seule différence entre l’original et la parodie. Les personnages de ce nouveau roman sont tout droit sortis du paysage littéraire contemporain : Joël Dicker, Virginie Despentes, Aurélie Valognes, Emmanuel Carrère et Sylvain Tesson, tels sont les passagers de ce train 006 qui vont faire les frais de cette nouvelle anomalie… et de la plume acerbe de Pascal Fioretto.
Aujourd’hui, à trente-cinq ans, Joël connaît le métier. Il sait qu’il n’est pas le seul à chercher l’intrigue de son prochain best-seller. En pénétrant dans le wagon, il a repéré Harlan Coben, New Jersey, et Michael Connely, Pennsylvanie, et sur le quai il a aperçu Michel Bussi, Normandie, et Frank Thilliez, Haute-Savoie. Eux aussi sont maintenant assis quelque part à bord du train qui les emmènent à Brive-la-Gaillarde, Corrèze. Eux aussi cherchent.
L’Intercité 006, lancé à pleine vitesse, vient de dépasser Vigneux-sur-Seine, Essonne. Voilà plusieurs semaines déjà que Joël trompe son manque d’inspiration en travaillant sur un scénario pour la télévision romande, La Vérité sur l’affaire de la disparition des vaches à cloches, un sordide fait divers qui ensanglanta les alpages du canton de Berne.
L’Anomalie du train 006, Pascal Fioretto (éditions Hérodios, p. 22)
Caricature d’eux-mêmes, ces auteurs qui connaissent par cœur les ficelles pour écrire un best-seller nourrissent une jalousie secrète pour Hervé le Tellier qui a obtenu le Prix Goncourt 2020 (le Graal de tout auteur français qui se respecte) et espèrent bien comprendre le mystère de son roman L’Anomalie pour devenir à leur tour lauréat du prestigieux Prix.
La parodie est poussée à son degré ultime, tant Fioretto s’amuse à imiter le style des auteurs qu’il singe ainsi que leur personnage médiatique. J’ai beaucoup ri devant l’obsession de Joël Dicker pour sa propre image, mais aussi face à la manie de Sylvain Tesson de grimper sur tout ce qu’il y a autour de lui et d’escalader tout ce qui est escaladable dans une pièce ! Quelques passages savoureux sont réservés à Aurélie Valognes dans des chapitres si mal écrits que l’on croirait que c’est la vraie qui en est l’autrice ! Fioretto pousse la malveillance très loin et c’est ce qui est savoureux dans son petit roman.
Aurélie a envie de lui dire de ne pas se mettre la rate au court-bouillon parce que quand on fait la tournée des grands ducs avec ses copains de golf, qu’on se beurre la tartine et qu’on rentre à point d’heure, saoul comme un coing polonais, on dort à poings fermés comme une souche. Mais Aurélie connaît la chanson, elle sait que Sylviane n’y va pas avec le dos de la cuillère quand il s’agit de défendre “son” Nico.
L’Anomalie du train 006, Pascal Fioretto (éditions Hérodios, p. 44)
Si vous avez aimé L’Anomalie et que vous avez une petite dent pour les nombreux imposteurs qui peuplent l’univers littéraire contemporain, n’hésitez pas à lire L’Anomalie du train 006 et revenez ici nous dire ce que vous en aurez pensé !
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.