Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce qu’un roman pour la jeunesse soit aussi violent ! Lorsqu’on évoque L’appel de la forêt que Jack London publia en 1903, on imagine souvent une grande aventure dans les paysages enneigés du Grand Nord, un récit exaltant où un chien découvre sa vraie nature. Mais derrière cette image romantique se cache un roman d’une brutalité surprenante, où la loi du plus fort règne sans pitié.
Après la déception qu’avait été Martin Eden (soi-disant son chef-d’œuvre), je m’étais promis de ne pas rester sur une image négative et d’aller découvrir d’autres classiques de Jack London. Avec L’appel de la forêt, j’ai fait bonne pioche !
L’appel de la forêt : une rare violence
Dès les premières pages, Buck (chien domestique né d’un croisement entre un saint-bernard et un chien berger écossais) est arraché à sa vie confortable en Californie et subit un dressage impitoyable. Il découvre rapidement que la force et la soumission sont les seules lois qui comptent. Battu à coups de bâton, affamé, exploité par des maîtres souvent cruels, il endure une suite d’épreuves qui brisent ses illusions et réveillent son instinct de survie.
Devenu malgré lui chien de traineau dans le Grand Nord, il doit aussi rivaliser avec les autres chiens de l’attelage, notamment les redoutables huskies. Pour moi qui adorait ces chiens quand j’étais petit, je dois dire qu’après avoir lu L’appel de la forêt, je ne les verrai jamais plus comme avant…
Buck fut attaqué par trois huskies, et en un rien de temps ils lui déchirèrent et lui tailladèrent la tête et les épaules. Le vacarme était effrayant. Dave et Sol-leks, qui saignaient par de nombreuses blessures, se battaient courageusement côte à côte. Joe faisait claquer ses mâchoires comme un démon. Une fois, ses dents se refermèrent sur la patte avant d’un husky, et il fit craquer l’os et le brisa. Pike, le simulateur, bondit sur l’animal estropié, et lui cassa l’encolure d’un coup de dents rapide comme l’éclair. Buck saisit à la gorge un adversaire écumant, et fut éclaboussé de sang lorsque ses dents s’enfoncèrent dans la veine jugulaire. La saveur chaude qui lui resta dans la gueule l’incita à se montrer encore plus féroce. Il se jeta sur un autre, et en même temps sentit des dents s’enfoncer dans sa propre gorge. C’était Spitz qui l’attaquait en traître sur le flanc.
L’appel de la forêt, chapitre 3 : « Le mâle dominant des origines », Jack London (éd. Folio Junior, pp. 45-46)
Une nature hostile et sans pitié
Jack London ne se contente pas de montrer la brutalité humaine : il décrit aussi un monde sauvage où la lutte pour la vie est permanente. Les chiens se battent entre eux pour dominer la meute, les plus faibles meurent de froid ou d’épuisement. La nature, loin d’être un refuge idyllique, est une arène où seuls les plus résistants survivent. Et pourtant, le roman est constellé de séquences contemplatives ultra-poétiques dans lesquelles on sent que Buck se reconnecte avec sa nature sauvage.
Au fil du roman, Buck se dépouille de son héritage domestique et cède à l’appel de ses instincts les plus primitifs. Ce retour à l’état sauvage ne se fait pas sans heurts. Connaissant un peu la vie de Jack London (je vous avais parlé ici de la pièce biographique La maison du loup, qui lui était consacrée), il ne m’a pas été difficile d’imaginer que lorsque l’auteur parle de Buck, c’est en fait de lui-même dont il est question. Pour moi, y’a pas photo : le chien Buck est beaucoup plus intéressant et profond que l’humain Martin Eden, que l’on a souvent considéré comme le double littéraire de Jack London.
Ainsi, L’Appel de la forêt dépasse le simple roman animalier pour livrer un récit brutal et sans concession sur la survie et la nature profonde de l’être vivant. Maintenant que je suis réconcilié avec Jack London, j’ai très envie de découvrir ses autres grands classiques, notamment Croc-Blanc, publié 3 ans plus tard, en 1906. Vous recommandez ?
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
2 comments
Je recommande à 2000% Croc-blanc aussi ! Un grand merci pour ton article : tu me renvoies des années en arrière avec cette critique… Je me souviens très bien de ma première lecture de L’appel de la forêt, une de mes premières nuits de lecture, planquée sous la couette, tellement je ne pouvais pas stopper ma lecture.
Je compte lire Croc-Blanc très bientôt, ça m’a vachement donné envie !