Quelle étrange surprise que la lecture du Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates… Le titre alambiqué et la couverture avec son petit nœud fuchsia n’avaient rien pour m’inspirer une grande confiance. Le début du récit non plus : l’histoire de Juliet Ashton, trentenaire londonienne, célibataire, romancière en panne d’inspiration… On sent tout de suite qu’on entre dans de la pure chick litt, façon Bridget Jones, et comme vous le savez, ce n’est pas mon genre de prédilection, loin de là !
Mais Juliet, l’héroïne de ce roman épistolaire, rentre soudain en relation avec Dawsey Adams, un habitant de Guernesey. Ce dernier a acheté d’occasion un livre de Charles Lamb ayant jadis appartenu à Juliet (son nom était resté inscrit au verso de la couverture) et Dawsey pressent immédiatement qu’il y a un coup de foudre littéraire entre lui et la jeune femme.
La suite du roman pourrait être cousue de fil blanc. Elle l’est d’ailleurs par de nombreux aspects. Mais en fait ce roman est loin d’être une simple bluette épistolaire. Mais alors très, très loin ! Déjà, parce que l’histoire se déroule en 1946 et que l’île Anglo-Normande sort fraîchement de l’Occupation allemande. Les stigmates du passage des nazis sont encore très frais dans les souvenirs et dans les vies des personnages, ce qui va peu à peu contaminer les lettres échangées entre les différents protagonistes de cette histoire.
Au fur et à mesure, Juliet se découvre de nouveaux correspondants sur l’île, car Dawsey n’est pas le seul amateur de littérature de Guernesey. Il appartient en fait à une sorte de club : le fameux “Cercle des amateurs de littérature et de tourte aux épluchures de patates de Guernesey” qui regroupe une farandole de personnages hauts en couleurs, unis par leur passion mais surtout par leur expérience commune de l’Occupation.
Le roman, s’il aborde des événements graves (mais captivants) dans de nombreux passages, ne se départit jamais de sa légèreté de ton, si typique des romans anglais et américains. Bien sûr, on retrouve au fil des pages quelques anecdotes qui restituent si bien l’atmosphère anglaise, comme le célèbre mauvais goût culinaire des nos cousins d’outre-Manche :
Will Thisbee veut que nous organisions une soirée de bienvenue. Il préparera une tourte aux épluchures de patates et envisage de réaliser un glaçage avec du marshmallow fondu et du cacao. Il comptait nous apporter un dessert surprise, hier soir. Par chance, ses cerises flambées sont restées collées à la casserole. J’espère que Will abandonnera bientôt la cuisine pour se remettre à la quincaillerie.
Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, Mary Ann Sheffer & Annie Barrows (éditions 10/18, page 220)
On est tenté de se demander s’il ne manque pas un peu d’unité à cet enchaînement de lettres qui produit une succession d’anecdotes tantôt comiques, tantôt graves. Cela fait d’ailleurs l’objet d’interrogations métalittéraires entre Juliet et son éditeur dans certaines lettres (pages 308-309). Mais l’on découvre bientôt un dénominateur commun à tous les récits enchevêtrés de ce roman épistolaire : l’existence sur l’île d’une petite fille, l’adorable Kit, et le mystère d’une habitante jadis déportée par les nazis, Elisabeth McKenna. C’est sûr qu’avec un thème pareil, c’est toute la chick litt qui en prend plein la figure ! J’ai adoré ce mélange des genres qui nous conduit exactement là où on ne pensait pas aller. On découvre au fil des pages une profondeur peu commune dans ce type de romans.
Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates est l’unique roman de Mary Ann Shaffer, une américaine passionnée par les îles Anglo-Normandes qui n’était pas du tout écrivaine et qui a reçu l’aide de sa nièce Annie Barrows (autrice de livres pour enfants) pour écrire ce roman. Le résultat, aussi surprenant qu’il soit, est un véritable régal que je vous recommande vivement.
Aviez-vous déjà lu ce best-seller ? Qu’en avez-vous pensé ?
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
6 comments
Pour une fois : tu aimes un de mes livres je suis bien contente !
Il me semblait bien que c’était toi ! Oui, ce livre a été une drôle de surprise. Pendant les 100 premières pages, je me suis dit que ce n’était pas forcément pour moi, puis quand le roman prend son virage, j’ai été totalement embarqué ! Je vais le recommander à beaucoup de monde. Merci de me l’avoir fait découvrir !
Je me souviens avoir beaucoup aimé aussi, même si l’intrigue ne m’a absolument pas marquée ( avant de relire ce résumé, j’aurais été incapable d’en parler) !
Oui, je ne sais pas si moi aussi je m’en souviendrais dans 10 ans, mais sur le coup, j’ai trouvé que ça fonctionnait super bien ! C’est rare de lire un roman sur ce sujet (Occupation et Camps) sous une forme aussi “chick” et de faire pourtant en sorte que ça fonctionne quand même.
Attirée et intriguée par ce titre, j’ai cru en début de lecture que ça n’allait pas me plaire… et je me suis laissée embarquer, par le rythme, l’abord historique, le côté ‘so british’, ce livre qui paraît léger m’a touchée et je suis restée accrochée à ses personnages.
Je le recommande en précisant qu’il faut persévérer avant que le charme n’opère !
Exactement, j’ai eu le même sentiment au début, il a fallu avancer un peu dans l’histoire pour que je sois totalement séduit, mais une fois que le charme a fonctionné, je n’ai plus décroché !