Cette semaine, je me suis plongé dans un texte des plus intéressants : la minute du procès de Jeanne d’Arc. Lire le compte-rendu d’un procès est vraiment intéressant. Jusqu’à présent, je m’étais surtout intéressé aux affaires littéraires : le procès de Flaubert pour Madame Bovary et celui de Baudelaire pour Les Fleurs du Mal (tous les deux en 1857). J’ai fait un grand saut dans le temps avec le procès de Jeanne d’Arc, qui m’a renvoyé en 1431 (dans une traduction de Raymond Ourcel, et publié sous la direction de Michel de Romilly).
Premier point fort de cet ouvrage, son style : imprimé en lettres gothiques, il est illustré d’après des gravures sur bois du quinzième siècle et relié en pleine peau décorée à la main. On a vraiment l’impression d’avoir dans ses mains un livre historique (même s’il ne s’agit bien sûr que d’une imitation).
Mais c’est bien sûr le contenu qui est le plus passionnant. On tombe presque de son siège quand on lit les chefs d’accusations auxquels la jeune pucelle de 19 ans a du répondre devant le juge Cauchon.
… Aux fins que la femme Jeanne, communément appelée la Pucelle, soit par vous, juges, prononcée et déclarée sorcière devineresse, pseudo-prophétesse, invocatrice d’esprits malins et conjuratrice, supersticieuse, appliquée aux arts magiques, mal-pensante en la foi catholique, schismatique en l’article Unam Sanctam (et autres…), dévoyée, sacrilège, idolâtre, apostate, médisante et maléfique, blasphématrice de Dieu et de ses saints, scandaleuse, séditieuse, trouble-paix et empêcheresse de paix, belliciste, cruellement assoiffée de sang humain et acharnée à son effusion, assez dénuée de vergogne pour faire fi de la décence convenable à son sexe, revêtir irrévérencieusement un habit insolite et adopter l’état des gens de guerre, abominable, pour tant de forfaits, à Dieu et aux hommes, prévaricatrice des lois divine et naturelle comme de la discipline ecclésiastique, séductrice de princes et du peuple ; acceptant, au mépris de Dieu, qu’on la vénère et adore, exhibant ses mains et ses habits à baiser ; usurpatrice des honneurs et du culte divin, hérétique (ou du moins fortement suspecte d’hérésie), et qu’elle soit, de ces forfaits, canoniquement et légalement châtiée.
Le procès de condamnation de Jeanne d’Arc
Malgré l’incroyable liste de faits et de comportements qui lui sont reprochés, les propos de Jeanne restent tout au long du procès incroyablement clairs et cohérents avec eux-mêmes. Elle parle tour à tour de ses voix (Sainte Marguerite et Sainte Catherine surtout), de son enfance, de sa tenue d’homme et sa coiffure, de son étendard, de sa rencontre avec le roi de France, de ses actes sur le champ de bataille pour délivrer Orléans, etc.
Quoi que l’on pense de ce personnage, difficile de ne pas être pris de pitié en imaginant cette très jeune femme face à un aréopage de juges plus savants qu’elle, prêts à tout pour la pousser à la contradiction et la condamner à mort. Ils ont évidemment gain de cause, et la jeune fille sera brûlée vive le 30 mai 1431.
Il faudra attendre plus d’une vingtaine d’année pour que la Pape ordonne la révision de ce procès et que Jeanne d’Arc soit innocentée réhabilitée en 1456. Elle a été ensuite béatifiée en 1909 et canonisée en 1920, devenant en 1922 l’une des saintes patronnes officielles de la France.
Cela faisait des années que je connaissais la légende de Jeanne d’Arc, mais j’ai trouvé passionnant de me confronter au personnage historique et d’entendre à travers les lignes de son procès, l’écho de sa voix et de sa personnalité (c’est un comble, quand il s’agit de Jeanne d’Arc 😉 ).
Et vous, avez-vous déjà lu ce type de texte ? De quel procès conseillez-vous la lecture ?
Qui a écrit cet article ?
Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
2 comments
Elle avait beaucoup de répartie !
Pour une “petite bergère” soi-disant peu éduquée, elle est en effet très intelligente, bien plus que ses juges !