Depuis le début du mois de mars (et du confinement), je vous parle de Marcel Proust et de sa Recherche du temps perdu. Clairement, cette lecture a été idoine pour traverser cette période, un roman fleuve en 7 tomes qui exige du temps pour être lu et apprécié à sa juste valeur (2401 pages dans l’édition intégrale Quarto Gallimard). C’est avec ravissement et nostalgie que j’ai tourné ce samedi l’ultime page du Temps retrouvé, dernière partie de la saga.
Le Temps retrouvé est souvent décrit comme le meilleur des 7 tomes. Je ne serais pas de cet avis, mais je peux affirmer clairement que c’est la clé de voûte de toute l’oeuvre et qu’à cause de cela il a une saveur toute particulière. C’est dans ce roman que toutes les parties précédentes prennent leur sens complet et que l’on comprend clairement les liens entre des intrigues qui paraissaient parfois fort différentes les unes des autres : la vie de Swann et sa famille, le tableau de la société aristocratique du début du vingtième siècle, l’histoire d’amour intermittente du narrateur et d’Albertine, etc.
Dans Le Temps retrouvé, tous les personnages principaux de la saga sont enfin réunis dans une matinée chez la Princesse de Guermantes, parfois sous des noms et des titres très différents de ceux sous lesquels nous les connaissions dans les romans précédents. Par exemple, celle qui fut Gilberte Swann dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs, puis Mademoiselle de Forcheville dans Albertine disparue est devenue désormais Madame de Saint-Loup. J’ai adoré voir comment les personnages ont évolué au fil du temps, eux que l’on a suivi depuis l’enfance jusqu’à, dans Le Temps retrouvé, un âge beaucoup plus avancé.
Tous ces personnages vieillis apparaissent d’abord comme étrangers au narrateur, lui qui avait abandonné toute vie sociale pendant plusieurs années et perdu de vue toutes ces connaissances. Les changements physiques lui font prendre conscience du temps qui passe et ses effets sur les êtres – souvent avec sérieux, mais parfois avec l’humour qu’on lui connaît.
Seules ne pouvaient s’accommoder de ces transformations les femmes trop belles ou trop laides. Les premières, sculptées comme un marbre aux lignes définitives duquel on ne peut plus rien changer, s’effritaient comme une statue. Les secondes, qui avaient quelque difformité de la face, avaient même sur les belles certains avantages. D’abord c’étaient les seules qu’on reconnaissait tout de suite. On savait qu’il n’y avait pas à Paris deux bouches pareilles et la leur me les faisait reconnaître dans cette matinée où je ne reconnaissais plus personne. Et puis elles n’avaient même pas l’air d’avoir vieilli. La vieillesse est quelque chose d’humain. Elles étaient des monstres, et elles ne semblaient pas avoir plus « changé » que des baleines.
Le Temps retrouvé, Marcel Proust (édition Quarto Gallimard, page 2321)
Ce roman est également essentiel pour comprendre l’ambition littéraire du narrateur. Plus qu’on récit d’un nouvel épisode de sa vie, Le Temps retrouvé est un méta-roman dans lequel il comprend sa vocation littéraire et forme définitivement le projet qui donnera naissance à La Recherche du temps perdu. Le lecteur lui-même (donc vous ou moi) est embrassé par la conscience de l’auteur qui cesse de s’analyser lui-même pour comprendre les effets que son oeuvre aura sur nous. Et je suis bien obligé d’avouer que j’ai exactement ressenti tout ce qu’il avait prévu et espéré au fil de ma lecture !
Vous l’avez compris, cette oeuvre est pour moi une grande référence littéraire que je ne peux que vous recommander. Selon l’âge que vous avez et les périodes de votre vie (j’avais 20 ans quand j’ai lu les premiers tomes et ai quitté cette décennie depuis longtemps aujourd’hui), les pages de ce livre prennent des saveurs différentes mais aussi délicieuses que celles d’une madeleine trempée dans une tasse de thé !
Et vous, avez-vous déjà lu A la recherche du temps perdu ? Des 7 tomes, lequel avez-vous préféré ?
Qui a écrit cet article ?
Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.