Hier soir, j’avais rendez-vous au Théâtre de Poche pour découvrir un spectacle qui s’y joue depuis 2017. Vous savez à quel point j’aime ce petit théâtre du quartier Bonnefoy, dans lequel je suis déjà allé voir La jeune fille et la mort, Autun 1950 et La Dèche. Le point commun de ces pièces ? Des personnages fragiles mis en lumière dans un écrin intime. Hier soir, il s’agissait de la pièce Libre(s), écrite et interprétée par Marie-Cécile Fourès, qui plonge le spectateur dans un huis clos familial bouleversant. Cette performance déploie une émotion brute, soutenue par un jeu d’actrice d’une grande sincérité.
Libre(s), l’histoire d’une mère et son fils
Dans le décor minimaliste d’un salon de thé laissant toute la place à l’intensité du verbe et du regard, l’autrice-interprète incarne avec finesse une femme marquée par un passé douloureux. Face à elle, son fils (interprété par Christophe Blanchet) tente de la faire parler, de comprendre ce qui les a amenés là. À travers des dialogues ciselés et des silences lourds de sens, Libre(s) interroge la transmission des blessures et des non-dits au sein d’une famille.
La force du texte réside dans sa capacité à capturer l’essence même du drame intime. Ce n’est donc pas un hasard si Marie-Cécile Fourès a choisi d’adapter cette pièce en roman sous le titre On ira voir la mer demain. Ou dimanche. dont je vous avais parlé ici-même. Conservant la structure du dialogue comme moteur du récit, l’autrice était parvenue à transposer l’intensité du plateau à la page, permettant ainsi à un plus large public de découvrir cette histoire poignante.
Bleu des chaises, bleu des lumières, bleus aux corps… et forcément bleus à l’âme…
Didier Albert, fondateur du Théâtre de Poche
Pour moi qui ai lu le roman avant de voir la pièce, je dois avouer que l’émotion a été intacte, bien que je sache exactement de quoi il retournait et quel secret allait être mis à nu. C’est là qu’on voit la force de la proposition scénique. Bien que d’une extrême simplicité, elle frappe droit au cœur.
Une exploration des violences et des silences
Libre(s) ne se contente pas de raconter une histoire : elle met en lumière les mécanismes insidieux de la domination et les répercussions des traumatismes familiaux. À travers le parcours de son héroïne Pascale – une femme prise dans l’étau des violences conjugales et des injonctions sociétales – la pièce résonne avec des thématiques universelles.
J’ai particulièrement été ému par le petit tic de cette femme rongée de l’intérieur : elle déchiquette en confettis tous les papiers qui lui passent entre les mains. L’emballage d’un sachet de sucre est ainsi découpé en petits morceaux autour d’une tasse à café, et un kleenex est répandu sur la scène comme autant de petits cailloux oubliés par un petit poucet désorienté. Le genre de subtilité qui en dit bien plus sur un personnage que de longues tirades !
Le spectacle touche d’autant plus qu’il se refuse à l’excès dramatique. Tout repose sur la justesse du jeu, la précision du texte et la proximité émotionnelle qu’instaure Marie-Cécile Fourès avec son public. Chaque réplique semble pesée, chaque silence rempli de ce qui ne peut être dit.
Une performance marquante
Si l’adaptation romanesque permet d’approfondir les motifs du récit (notamment le background de chaque personnage), c’est bien sur scène que Libre(s) prend toute son ampleur. Marie-Cécile Fourès offre une interprétation habitée, où la vulnérabilité et la résilience s’entrechoquent. Un spectacle d’une rare intensité, qui mérite d’être vu et entendu.
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.