La semaine dernière, j’ai fait ma rentrée ciné. Après Trois mille ans à t’attendre mercredi et Everything everywhere all at once jeudi, je suis donc allé voir Nope vendredi qui m’a bien retourné le ciboulot ! Je vous propose donc d’abord une petite présentation et critique de ce film sans spoiler, puis je vous soumettrai quelques petites explications et hypothèses à lire seulement si vous avez déjà vu le film (ou si vous vous fichez d’avoir quelques révélations)…
Nope, mon avis sans spoiler
J’avais très envie de voir Nope, parce que le premier film de son réalisateur Jordan Peele avait été une très bonne surprise en 2017 et que j’adore ses partis pris. Ce premier film, c’était Get out dont je vous avais parlé avec enthousiasme ici. Jordan Peele, c’est clairement le genre de réalisateur bien dans son époque qui ne se contente pas de faire du spectacle sur grand écran mais utilise son média pour réfléchir à des problématiques sérieuses (le racisme, la violence, l’identité…) tout en réinventant les formes de cinéma les plus populaires (le gore, le fantastique, le thriller…).
Le scénario de Nope, si l’on ne veut rien dévoiler de crucial, se résume en peu de mots. OG Haywood, éleveur de chevaux pour le cinéma près d’Hollywood, est un jour témoin d’un événement terrifiant au caractère surnaturel au-dessus de son ranch. Il va tout mettre en œuvre avec sa sœur Emerald pour enregistrer une image de ce phénomène.
La principale qualité de ce film est son ambiance : la tension est constante de la première à la dernière minute du film. Même les scènes les plus anodines sont chargées d’un suspense palpable. On se dit qu’à chaque instant la situation des personnages peut basculer. Ce que j’adore dans ce genre de film, c’est justement de mettre le spectateur dans le même état que ses personnages. Ils ne comprennent pas toujours à quoi ils ont affaire et nous non plus. Le réalisateur ne nous donne jamais une longueur d’avance, quitte à parfois laisser notre curiosité sur sa faim sans la satisfaire totalement.
C’est ce qui peut donner à ce film son caractère déstabilisant et pour certains frustrant. C’est d’ailleurs pour cela que je suis sorti de la salle avec le sentiment d’avoir vu une œuvre en forme de puzzle dont on me donnait toutes les pièces, mais pas forcément le modèle pour les assembler.
C’est ce qui nous amène à la deuxième partie de cet article, que je vous recommande de ne pas lire si vous n’avez pas vu le film.
Nope, mes théories (attention spoilers)
La première scène du film, dont on entend seulement le son, semble peu connectée à l’intrigue principale de Nope. Il s’agit d’une scène de carnage sur un plateau d’enregistrement. Au cours du tournage d’un épisode de la sitcom Gordy’s House mettant en scène un chimpanzé, celui-ci est effrayé par l’explosion d’un ballon d’anniversaire et va partir en vrille, attaquant sauvagement et mortellement l’équipe du tournage.
À travers cette scène – que l’on ne voit pas – Jordan Peele nous donne tous les thèmes de son film :
- Le monde du spectacle : on est sur un plateau de tournage ; la famille Haywood est affiliée au monde du septième art et prétend avoir pour aïeul le jockey figurant sur le premier film de l’histoire du cinéma ; Emerald rêve de célébrité ; Jupe dirige un parc d’attraction et exploite des chevaux pour les besoins d’un show ; Angel vend, installe et utilise des caméras de surveillance ; Antlers Holst est un réalisateur qui veut enregistrer l’image parfaite et impossible ; les médias essayent de s’emparer du phénomène “ovni” ; la bouche de Jean Jacket a la forme d’un écran à travers lequel on voit le chimpanzé Gordy dans les premières minutes du film ; toute l’action se passe près d’Hollywood… Bref, tous les personnages sont liés à la question de l’image et du spectacle. Nope semble clairement nous parler de notre addiction aux images et des conséquences de cette fascination…
- Le traitement des animaux : que ce soit Gordy sur le plateau de la sitcom en 1998 ou le cheval Lucky sur le plateau de tournage Hollywoodien, les animaux sont systématiquement exploités par les hommes dans l’industrie du spectacle. Même Jean Jacket devient, dans une certaine mesure, un animal de spectacle : chacun veut l’apprivoiser pour en tirer profit. Jupe pour en faire un show ; Antlers Holst pour tourner la séquence impossible qui le rendra légendaire ; et les journalistes pour créer du buzz.
- Regarder ou ne pas regarder : c’est tout l’enjeu du film et c’est ce que comprend OG face à l’ovni. Aussi fascinante que soit “la chose”, il ne faut pas la regarder, car cela revient à la provoquer et se mettre en danger. L’attaque de Gordy en 1998 n’est d’ailleurs pas montrée dans la première séquence de Nope où on entend seulement les bruits du carnage. À Hollywood, c’est en faisant passer un miroir devant les yeux du cheval Lucky qu’un technicien déclenche sa ruade. Jude dans son enfance est sauvé de l’attaque du chimpanzé précisément parce qu’il est caché sous la table et ne le regarde pas, puis lorsqu’il le voit, la nappe voile partiellement sa vision. Jordan Peele nous met en garde en tant que spectateurs : à quoi notre fascination pour les images (et pour son film) va-t-elle nous conduire ? À quels dangers nous exposons-nous volontairement ?
- Le paranormal : la présence surréaliste d’une chaussure qui tient “miraculeusement” à la verticale au milieu du décor dévasté semble annoncer l’arrivée d’un événement paranormal et dangereux dans la suite du film. Jean Jacket est en effet un élément surnaturel (inexplicable et inexpliqué) comme cette chaussure. Jean Jacket et la chaussure sont en lévitation et font partie des éléments extraordinaires sur lesquels Jordan Peele semble ne pas vouloir donner d’explication, parce que le sujet n’est pas là et que le spectateur aurait tort de vouloir tout comprendre.
Dans un monde où les écrans et les images sont omniprésents (médias) et obsessionnels (réseaux sociaux), Jordan Peele dresse un constat sans concession. Les images alimentent nos angoisses et pourtant nous ne pouvons nous empêcher d’en produire et d’en consommer. Jusqu’à la folie. Jusqu’au carnage.
Ces images sont également liées à notre cupidité. Toutes ces images n’ont pour but que d’enrichir ceux qui les produisent, et c’est d’ailleurs ce qui tue le père d’OG et Emerald au début du film, l’œil (son regard) transpercé par une pièce de monnaie (sa cupidité) recrachée par l’ovni.
Ceux qui font les frais de cette frénésie sont soit ceux qui ne parviennent plus à résister à cette addiction (aspirés par la bouche rectangulaire de Jean Jacket qui les dévore), soit les animaux qui sont exploités et sacrifiés juste pour le buzz. On voit comment l’industrie du divertissement a transformé la tragédie de Gordy’s House en parodie dans le Saturday Night Live… récupération de l’horreur coûte que coûte. Jude lui-même, rare survivant du drame, fait fructifier son traumatisme en faisant payer la visite de sa collection des reliques de cet incident. Rien ne résiste à l’industrie du show-business, totalement dépourvue de sens moral et de compassion.
Mais la morale de Nope, c’est que tous ces personnages sont finalement punis et que leur cupidité ou leur fascination se retournent contre eux.
Bref, ce ne sont que mes théories et je pense qu’il y aurait encore beaucoup de choses à dire et à observer dans Nope que je n’ai pas vues ou pas comprises. Et vous, quelles sont vos théories sur Nope et les questions que vous continuez à vous poser ?
Qui a écrit cet article ?
Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.