Vous avez dit baroque ? Que viva Eisenstein ! l’est, pour le moins !
Quelques remarques liminaires pour vous resituer : le réalisateur, Peter Greenaway, nous a déjà gratifiés de l’excellent Meurtre dans un jardin anglais en 1982. Il fait ici le portrait d’un autre réalisateur, Serguei Eisenstein. Mais si ! vous le connaissez ! ou plutôt vous connaissez ses films – même sans les avoir vus – parce qu’ils font partie de ce que l’on appelle « les classiques »… Si je vous dis « un landau qui dévale des escaliers dans le port d’Odessa » vous vous écrirez « Ah ouiiii ! Mais bien sûr, c’est Le cuirassé Potemkine ! » Il est aussi le réalisateur de Ivan le Terrible, autre film culte du paysage cinématographique russe de la première moitié du vingtième siècle.
Habituellement, je ne suis pas fan (mais alors pas du tout) de cette catégorie de films que l’on appelle les biopics. Tout d’abord, parce que ceux qui s’en emparent ont beaucoup de mal à échapper à une narration linéaire (qui va de l’enfance à la mort, en passant par quelques flashbacks bien sentis) et à une vision psychologisante (qui tenterait de nous faire croire que quelques moments clés ont suffi à façonner un destin ou l’ensemble d’une œuvre). Au final, on est rarement surpris.
Greenaway s’y est pris autrement. Son projet initial n’était pas de faire un métrage de fiction mais un documentaire sur le tournage de Que Viva Mexico !, film d’Eisenstein qui n’a finalement jamais vu le jour, mais pour lequel il a du séjourner au Mexique, pays qui l’a fasciné et bouleversé (« Au cours de ces dix derniers jours, j’ai été follement amoureux et j’ai obtenu tout ce que je désirais. Ceci aura probablement d’énormes répercussions psychologiques », écrit-il dans une lettre de l’époque). Les images d’archives cohabitent avec celles de la fiction, mais l’ensemble se déroule dans une telle précipitation (souvent sur fond de logorrhées du protagoniste) que l’on ne sait plus où donner de la tête. Que viva Eisenstein ! nous en dit peu sur les films tournés avant ce séjour mexicain et rien sur les films qui verront le jour par la suite, mais parvient à nous insuffler une énergie qui est probablement la quintessence de son génie. C’est riche, c’est vif, c’est cru.
On ne conseillera cependant pas ce film à tous les spectateurs sans les avoir avertis : il y a de nombreuses scènes explicites, alors si vous n’êtes pas à l’aise avec des images de corps ou de sexualité sans pudeur, passez votre chemin. On rappellera seulement cette motivation de Greenaway lorsqu’il a choisi Elmer Bäck pour incarner Eisenstein : « Je cherchais un acteur prêt à me confier son cœur, son âme , son esprit, son corps et sa queue, pour dresser le portrait d’un homme on ne peut plus humain, mis à nu, aussi bien émotionnellement que physiquement – vomi, merde, pleurs, baise, sueur et hurlements compris. » Tout est dit !
Qui a écrit cet article ?
Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.