La ville de Rodez a une super politique culturelle. Il suffit que vous vous rendiez dans l’un des trois musées de la ville pour avoir aussitôt accès aux deux autres, sans surcoût. C’est bien sûr très intelligent, car vous n’iriez peut-être pas spontanément dans tous ces lieux si le billet ne vous y incitait pas. Mais quand c’est payé d’avance, vous vous dites : « autant aller jeter un œil ! » Et c’est comme ça que vous tombez sur des surprises exceptionnelles !
C’est ainsi que je me suis rendu au Musée Soulages dont j’avais entendu parler depuis longtemps, avant d’aller me promener au Musée Fenaille puis au Musée Denys-Puech.
LE MUSEE SOULAGES :
Les lecteurs de Culture déconfiture le savent, l’art contemporain et moi, ça fait deux. Mais je me dis souvent qu’on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise pour remettre en cause nos préjugés. Et après tout, puisque ce musée abrite la plus grande collection au monde de l’artiste Pierre Soulages, j’ai pensé que c’était le meilleur endroit pour appréhender son œuvre. En effet, ce lieu réunit peintures, eaux-fortes, sérigraphies, lithographies ainsi que les ébauches des travaux des vitraux de l’abbaye de Conques.
Je dois immédiatement dire que, prises séparément, je n’ai pas spécialement apprécié les œuvres que j’ai vues. Que ce soient les monochromes noirs ou les œuvres plus colorées mais tout aussi abstraites, elles ne m’ont procuré aucune émotion. Des traits, des tâches, des aplats… Tout cela m’a laissé perplexe, voire tristement indifférent. En revanche, j’ai trouvé tout à fait intéressante cette proposition de mettre les œuvres en résonance les unes à côté des autres, percevoir des variations entre des toiles qui, isolées, auraient pu sembler identiques ou répétitives. Cela permet de voir les nuances entre des œuvres qui semblent partager des caractéristiques identiques. Tel noir semble doré, quand celui qui lui fait face irise des reflets rouges. Tout d’un coup, la démarche de l’artiste prend de la profondeur.
LE MUSEE FENAILLE :
La pierre sculptée, de la Préhistoire à Rodin, voilà ce que l’on peut découvrir dans le musée Fenaille ! Sur le papier, je n’étais pas spécialement emballé, mais j’avais justement envie de comprendre un peu mieux ce que l’on voulait raconter à travers un parcours aussi ambitieux dans l’histoire de la pierre. Eh bien j’en ai pris plein la vue !
Le parcours commence au troisième étage par une collection unique de statues-menhirs, un type d’œuvre dont je ne soupçonnais même pas l’existence ! Ces figures anthropomorphes, érigées autour du IIIe millénaire avant notre ère, sont les plus anciennes représentations de l’homme en grand format connues en Europe occidentale. Dans les salles alentours, de nombreux objets donnent un aperçu de la vie des populations qui les ont érigées : habitats, sépultures, outils et parures. Comment ne pas être pris de vertige devant des œuvres qui ont traversé les siècles et les millénaires, notamment face à « la Dame de Saint Sernin » dont on ignore encore avec certitude la raison pour laquelle elle a été sculptée. Quelle est votre théorie ?
Les collections gallo-romaines visibles au deuxième étage présentent principalement la ville antique de Segodumun (Rodez) et les activités de ses habitants illustrées par des sculptures, mosaïques et objets de la vie quotidienne (l’artisanat de la céramique, l’écriture, l’hygiène, la nourriture, le commerce). Parmi ceux-ci deux pièces exceptionnelles : un casque à visage en bronze et un joug en bois daté du IIIe siècle de notre ère.
Les salles consacrées au Moyen Age situées au premier regroupent des sculptures provenant d’édifices religieux de la région (dont un remarquable bas-relief d’un Christ en majesté du 11e siècle), des accessoires destinés au culte et à la dévotion ainsi que des objets de la vie courante (chaussures en cuir du 14e siècle, panneaux de meubles ornés, bijoux, armes…).
Le dernier département du musée, dédié à la Renaissance, témoigne de l’essor artistique de cette période. Il présente notamment deux tapisseries des Flandres, une série de vitraux en grisaille et jaune d’argent, l’émouvant Christ de Bonnecombe en bois et une petite Vierge en calcaire polychromée, fragment d’une Annonciation.
Actuellement, le Musée Fenaille accueille dans sa collection permanente une sélection de portraits de Madame Fenaille par Auguste Rodin qui clôt la visite. Maurice Fenaille était l’un des mécènes les plus fidèles du sculpteur pendant près de 30 ans qui, en retour, sculpta le portait de son épouse Marie Fenaille. La rencontre avec ce modèle, au port de tête si singulier, donnera naissance à de multiples variations et de nombreuses esquisses qui révèlent les chemins sinueux de la création chez Auguste Rodin. Mises en perspective avec les autres « pierres sculptées » du musée, ces sculptures de Rodin vous donnent soudain le vertige !
LE MUSEE DENYS-PUECH :
Ce dernier musée s’inscrit parfaitement dans la continuité du Musée Fenaille, puisqu’il met à l’honneur un sculpteur de la fin du dix-neuvième siècle, qui vient donc après dans la chronologie de l’histoire de l’art. J’ai été totalement fasciné par ses sculptures si réalistes et expressives : La muse d’André Chénier côtoie Sirène enlevant un adolescent, sous les regards d’un Dante sévère et d’un Voltaire rieur.
Une découverte tout aussi intéressante se situe à l’étage du musée, puisqu’il propose un parcours tactile ! Passez vos mains sur une représentation de jeune paysanne, portant une botte de blé et un arrosoir. Visuellement, la sculpture semble travaillée de la même façon de la tête aux pieds, mais en laissant vos doigts glisser sur le marbre, vous percevez bientôt que la sensation diffère entre la texture de la peau, du drapé, du végétal, du cuir ou du métal ! La sculpture est bien un art de la matière et du toucher qui n’est pas faite pour le seul plaisir des yeux : sinon pourquoi l’artiste se serait-il donné la peine de créer ces nuances tactiles imperceptibles à l’œil-nu ? La sculpture à toucher, c’est vraiment une expérience à tenter ! Et Denys Puech, un sculpteur à découvrir !
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.