Depuis longtemps, j’avais entendu parler d’un roman inachevé de Stendhal qui s’intitule Le Rose et le vert, qui m’a toujours intrigué parce que son titre, évidemment, rappelle celui son chef-d’œuvre beaucoup plus célèbre : Le Rouge et le noir. Je me demandais s’il y avait un rapport entre ces deux œuvres, et pourquoi Le Rose et le vert était moins connu que l’autre. J’ai donc mis à profit de longs trajets effectués récemment pour lire cette œuvre succincte et me faire un avis.
En résumé : Le roman est centré autour d’un personnage féminin, une riche héritière allemande du nom de Mina de Wanghel. A la mort de son père, elle se retrouve à la tête d’une fortune colossale. Mais sa richesse n’est pas sa seule qualité, puisqu’elle a la chance d’être la plus jolie fille de son pays, doublée d’une érudite pleine de sagesse et de finesse. Toutes ces qualités font d’elle la célibataire la plus convoitée d’Allemagne, et les prétendants se pressent pour la conquérir.
Mais Mina a des doutes. Ces hommes viennent-ils pour sa fortune ou pour sa personne ? Avec la complicité de sa mère (personnage truculent), elle va tenter de démêler les intentions véritables de ses amoureux. Dans un premier temps, elle souhaite faire connaître la nouvelle de sa ruine. Mais de nombreux obstacles vont empêcher la réalisation de ce projet risqué. Elle choisira donc une deuxième option : aller vivre à Paris où elle n’est pas connue afin de s’y faire passer pour une fille modeste. Ainsi aspire-t-elle à trouver l’amour véritable. La suite du roman se déroule donc en France et narre ses rencontres successives et les réflexions que cette aventure lui inspire.
Mon avis : Si cette œuvre est largement méconnue, c’est d’abord parce qu’elle est inachevée. Stendhal n’a consacré qu’un mois à ce récit, puis l’a abandonné pour se lancer dans l’écriture de La Chartreuse de Parme. Les 9 premiers chapitres sont donc partiellement rédigés et ont été édités dans un état convenable, et le dixième chapitre est en fait le scénario de la suite du roman qui était supposé contenir de très nombreuses péripéties (sous forme de notes brouillonnes).
On retrouve dans cette esquisse de roman les qualités que l’on aime chez Stendhal, en particulier la finesse de la psychologie et des relations humaines. Mais ce qui m’a également plu, ce sont les digressions du narrateur qui, à plusieurs reprises, prend de la distance avec son récit et ses personnages pour prendre directement le lecteur à parti.
Je vois que le lecteur est scandalisé, mais, à mon grand péril, j’ai pris le parti d’être vrai ; oui, il y a des pays où l’on a le malheur de ne pas agir exactement comme en France. Oui, il y a des pays où une mère, parfaitement sûre d’ailleurs de la sagesse de sa fille, plaisante avec elle sur l’homme que celle-ci pourra désirer pour époux. Aussi, chose scandaleuse, presque tous les mariages s’y font par amour. Et pendant des années entières ces demoiselles font la conversation dans un coin du salon à trois pas de leur mère avec l’homme qui espère les épouser. Et si cet homme, chose inusitée, venait à cesser ses visites, il serait complètement déshonoré. Au reste, ce temps est peut-être le plus aimable de la vie pour l’un comme pour l’autre.
Une conséquence terrible de cette honnête liberté, c’est que fort souvent un jeune homme riche épouse une fille pauvre sous le vain prétexte qu’elle est jolie et qu’il en est amoureux fou, ce qui porte un notable préjudice à la classe respectable des demoiselles maussades dépourvues d’esprit et de beauté. Tandis qu’en France la base de toute notre législation non écrite relativement au mariage, c’est de protéger les demoiselles laides et riches.
Bref, Le Rose et le vert est un roman qui se lit vite et qui peut amuser par de nombreux aspects, mais qui pourra également se montrer frustrant dans la mesure où il s’achève en plein milieu de l’action. Et vous, avez-vous lu ou lirez-vous Le Rose et le vert ?
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.