Vendredi dernier à la Halle aux Grains, le contre-ténor Jakub Józef Orliński était l’invité des Grands Interprètes. Ses admirateurs étaient bien entendu présents à ce rendez-vous, prêts à plonger dans l’univers musical de son dernier album, Beyond, un programme sur mesure imaginé par Yannis François mêlant virtuosité et émotion. L’artiste iconoclaste a-t-il tenu toutes ses promesses ?
Jakub Józef Orliński, un virtuose théâtral
Jakub Józef Orliński est actuellement l’un des artistes lyriques les plus populaires : très démonstratif sur scène, il est également très présent médiatiquement. Égérie de grandes marques (comme Lacoste ou Pun), il assume totalement son image de beau-gosse du belcanto et en joue sans complexe. Aussi, lorsqu’il est sur scène, il ne se contente pas de chanter : il incarne véritablement les personnages de chaque morceau de son programme. Ainsi, tout au long de la soirée, le contre-ténor s’est métamorphosé… D’aucuns diront même qu’il en fait un peu trop et que son jeu, qui manque parfois de sincérité, brise un peu l’émotion de la musique. En tous cas, il se donne à 100 % et ne boude jamais son plaisir !
Le passage le plus amusant de la soirée a sans doute été celui où Orliński s’est travesti en vieille nourrice (Quanto più la donna invecchia et Son vecchia, pazienza de Giovanni Cesare Netti), comme pour faire un clin d’œil aux rôles de femmes que les contre-ténors étaient en mesure d’incarner dans la tradition des castrats.
Aujourd’hui, dans Beyond, le compositeur le plus représenté en Giovanni Cesare Netti (1649-1686) ; j’ai découvert ses manuscrits par hasard au cours de mes recherches et j’ai été frappé par la beauté de ses compositions. La variété de ses scènes est incroyable, parfois dans une même scène un personnage peut en effet enchaîner plusieurs récits et plusieurs airs de textures et de couleurs orchestrales totalement différentes.
Yannis François
Orliński a parfaitement su embarquer le public dans son univers. Lumière tamisée, ambiance intime, il s’est montré très généreux au cours de cette soirée, couronnée par une ovation et quatre rappels. Comme à son habitude, le chanteur – qui est aussi breakdancer à ses heures – a gratifié le public de quelques figures qui ont fini de briser les codes du récital classique tel qu’on le connait. Si plusieurs chanteurs rivaliseraient facilement avec lui sur le plan vocal, peu pourraient se mesurer à lui en terme de performance physique.
Beyond, le programme
Au cours de ce concert, le chanteur était accompagné de l’Ensemble Il Pomo d’Oro, un groupe de musiciens spécialisé dans la musique de la période baroque et classique. Nous les avions déjà entendus en juin dernier, lors du concert de Joyce DiDonato – dont nous vous avions parlé ici – et lors du précédent récital d’Orliński à Toulouse – dont il était question là. L’osmose entre les musiciens et le chanteur est toujours au rendez-vous et cela fait plaisir à voir !
Cela faisait un moment que germait dans ma tête l’idée d’un programme pour la voix de Jakub autour de la période « Seiciento » (XVIIe siècle musical), sachant que sa musicalité est particulièrement expressive dans ce répertoire. Les possibilités pour cette ère musicale sont tellement vastes que la construction du programme et les choix à faire étaient presque déroutants : entre l’opéra, la cantate, les sérénades ou les « canzoni » pour voix seule, les perspectives étaient particulièrement étendues. J’ai donc fait le choix de ne pas choisir, en sélectionnant un exemple de chacune de ses formes afin d’offrir à l’auditeur un aperçu de toute la richesse de ce siècle.
Yannis François
De Monterverdi à Netti, le programme a donc été particulièrement varié.
MONTEVERDI : « E pur io torno » (Ottone) – L’Incoronazione di Poppea (Venezia, 1642)
MONTEVERDI : Voglio di vita uscir
MARINI : Passacaglia
CACCINI : Amarilli, mia bella (1602)
FRESCOBALDI : Così mi disprezzate : « Aria di passacaglio » (1630)
KERLL : Sonate pour 2 violons en fa majeur
STROZZI : Cantate, ariette e duetti : « L’Amante consolato » (1651)
CAVALLI : Pompeo Magno : « Incomprensibil nume » (Pompeo) (Venezia, 1666)
PALLAVICINO : Demetrio, Sinfonia (Venezia, 1666)
NETTI : La Filli : « Misero core…Si,si,si scioglia si…Dolcissime catene » (Berillo, 1682)
SARTORIO : Antonino e Pompeianio : « La certezza di sua fede » (Pompeo) (Venezia, 1677)
NETTI : L’Adamiro TN V.1b : « Quanto più la donna invecchia » (Crinalba) (Napoli, 1681)
NETTI : L’Adamiro TN V.1b : « Son vecchia, patienza » (Crinalba) (Napoli, 1681)
JARZEBSKI : Tamburetta
MORATELLI : La Faretra smarrita : « Lungi dai nostri cor » (Amore) (1690)
Étiez-vous présents à ce concert des Grands Interprètes ? Ils nous redonnent rendez-vous très prochainement avec l’Ensemble Pygmalion, qui viendra interpréter les Cantates de Bach (Temps et éternité) le 21 novembre prochain à la Halle aux Grains, un rendez-vous que je ne manquerais sous aucun prétexte ! Et vous, serez-vous là ?
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.