Avec presque soixante ans de retard, le lycée Raymond-Naves a été cette semaine le théâtre d’un vernissage exceptionnel. En effet, le tableau Chevaux de bois Paul Verlaine, peint en 1960 par l’artiste toulousain Raoul Bergougnan pour l’inauguration du lycée, vient seulement d’être accroché !
C’est une histoire est à la fois étonnante et émouvante. Le lycée Raymond-Naves, au nord de Toulouse, ouvrit ses portes en 1960. Pour cette occasion, un tableau fut commandé à un peintre local : Raoul Bergougnan. Un an auparavant, André Malraux alors ministre chargé des Affaires culturelles avait en effet exigé que les édifices publics accordent une place à l’art contemporain à la hauteur de 1% du coût de construction. Ainsi peut-on voir dans la cour du lycée Raymond-Naves des statues et la mosaïque qui ornent l’établissement scolaire. Mais le tableau de Bergougnan, quant à lui, fut censuré et disparut pendant plusieurs dizaines d’années, enroulé puis conservé dans les réserves du Musée des Abattoirs. Comment comprendre cette disparition ?
Est-ce dû au sujet de la toile ? A bien y regarder, que voit-on sur ce tableau intitulé Chevaux de bois Paul Verlaine ? Un manège, des lampions, des amants grisés par la fête… En observant la façon dont le soldat basané enlace la grosse bonne au premier plan, on peut imaginer le malaise de l’administration des années 60 : comment expliquerait-on la présence de cette représentation à l’entrée d’un établissement pour jeunes filles ? Une invitation au stupre ? Couvrez cette chair, que l’on ne saurait voir ! Et que penser de la présence du filou à droite du tableau, lorgnant le sac abandonné, à moins que ce ne soit l’enfant dans son landau ?
Pour composer cette toile, Raoul Bergougnan s’est inspiré d’un poème des Fêtes Galantes de Paul Verlaine, dont voici les vers :
Tournez, tournez, bons chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours,
Tournez souvent et tournez toujours,
Tournez, tournez au son des hautbois.
Le gros soldat, la plus grosse bonne
Sont sur vos dos comme dans leur chambre,
Car en ce jour au bois de la Cambre
Les maîtres sont tous deux en personne.
Tournez, tournez, chevaux de leur cœur,
Tandis qu’autour de tous vos tournois
Clignote l’œil du filou sournois,
Tournez au son du piston vainqueur.
C’est ravissant comme ça vous soûle
D’aller ainsi dans ce cirque bête :
Bien dans le ventre et mal dans la tête,
Du mal en masse et du bien en foule.
Tournez, tournez sans qu’il soit besoin
D’user jamais de nuls éperons
Pour commander à vos galops ronds,
Tournez, tournez, sans espoir de foin
Et dépêchez, chevaux de leur âme :
Déjà voici que la nuit qui tombe
Va réunir pigeon et colombe
Loin de la foire et loin de madame.
Tournez, tournez ! le ciel en velours
D’astres en or se vête lentement.
Voici partir l’amante et l’amant.
Tournez au son joyeux des tambours !
C’est seulement en 2018 que la récupération du tableau a pu être mise en œuvre, ainsi que son accrochage au sein du lycée où il aurait toujours dû avoir sa place. Bergougnan revient enfin dans la lumière, pour la plus grand plaisir des lycéens et du personnel de l’établissement ! Le prêt du tableau par le Musée des Abattoirs est d’une durée de cinq ans (on l’espère tacitement renouvelable) et il sera donc toujours exposé en 2020, quand le lycée fêtera ses 60 ans !
Emouvant, n’est-ce pas ?
Qui a écrit cet article ?
Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
7 comments
Qui a pensé à ce tableau oublié aux Abattoirs ?
Pourquoi, il n’appartient pas au lycée R-N ?
En fait, je ne pense pas que le lycée “possède” les oeuvres ni quoi que ce soit.
Je me suis un peu renseigné… Le tableau n’appartient pas au lycée précisément parce qu’il a été refusé en 1960. Puisqu’il a été refusé, le lycée n’en a plus la propriété, tout simplement.
Incroyable cette histoire ! Il est accroché où du coup ? 🙂
Il est en salle de conférence du lycée, qui est une grande salle polyvalente. C’est un très grand format, il fallait de l’espace pour qu’il puisse être mis en valeur. Cette place lui va bien !
Curieusement, je tombe sur votre article sur ce tableau alors que je cherchais des renseignements sur le peintre en question… A la suite de sa vente dans une SVV de Toulouse (Me Remy Fournié, Commissaire-priseur, Hotel des ventes Saint-Georges)
Personnellement, je m’intéresse à l’art forain et aux représentations de la fête foraine dans l’art.
Cordialement
Avec cette peinture inspirée par le poème “Chevaux de bois” de Verlaine, on est en plein dans le thème en effet !